La Croqueuse de diamants

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D'aussi loin qu'elle s'en souvienne l'or, les pierreries en bref, les matières précieuses la fascinaient. Enfant, Marion n'avait de cesse d'aller fouiller la boîte à bijoux de sa mère avec pour seule idée de régaler ses yeux de l'éclat des bracelets, colliers et autres parures qui s'y trouvaient. Les broches exerçaient d'ailleurs sur elle une attraction toute particulière. Malheureusement pour la petite fille, tous les joyaux qui s'y trouvaient étaient faux, de simples imitations. Certes, la nature de la matière d'un objet n'en fait ni l'éclat ni la teinte — de nos jours, on trouve sur le marché des contrefaçons exceptionnelles — mais Marion voyait bien que ces pierres étaient fausses. L'or était léger, plus terne et clair que du véritable, les brillants n'avaient pas cette texture toute particulière qu'ont les diamants et même les faux saphirs rayonnaient différemment.

Un jour, elle demanda à sa mère pourquoi celle-ci ne possédait pas de véritables bijoux, ce à quoi la mère avait répondu qu'elle n'en avait pas l'envie, que ses fausses pièces, quoique de bien piètre qualité, la satisfaisaient amplement et qu'elle ne voulait point gaspiller ses revenus en de futiles accessoires. Quand sa fille avait grandi, elle lui avait néanmoins expliqué que c'était avant tout faute de moyens. Mais, malgré toutes ces raisons, la fillette était frustrée de ne pas pouvoir en toucher de vrais : les diamants devinrent pour elle une obsession.

Adulte, Marion devint Celle à la Main Leste. Elle volait. La patte du temps n'avait pas le moins du monde atténué sa fascination pour les choses précieuses, bien au contraire : apercevoir enfin l'éclat de richesses semblait être devenu le but même de son existence. Croqueuse de diamants, voilà le titre qu'elle ambitionnait.

Marion entama sa carrière par le braquage d'une boutique de vêtements huppée, revendant ensuite son butin pour une belle somme au marché noir. Puis ce fut une banque, un maroquinier, et même un cordonnier réputé. Ses larcins se multipliaient et elle courait toujours, jouissant de sa liberté. De fait, qui se serait douté que la généreuse Marion, partageant toujours sa cuisine avec ses vieux voisins, tirait sa petite fortune du monde de la criminalité ? Après peut-être bien trois années de cambriolages, Marion se savait aguerrie et n'avait jamais perdu de vue son objectif ; elle était cependant d'une grande intelligence et n'avait pas pour intention de courir à sa perte en brûlant les étapes. Or à présent, elle se savait prête à passer au stade supérieur de son épanouissante vie de voleuse, elle voulait tenir entre ses mains son premier joyau.

Une nuit, elle tenta de s'infiltrer au palais royal. Hélas, si elle était futée, Marion ne rêvait que de resplendir. Ainsi, par manque d'humilité, elle avait visé trop haut, voulant à tout prix que son premier joyau soit celui de la couronne. Par manque de préparation et par excès de hâte, elle fut prise la main dans le sac ; par manque de chance, on était en l'an 1900, époque implacable. Elle fut condamnée à la pendaison.

Exécutée en public dans sa ville, Londres, Marion devint un des principaux sujets de conversations, nourrissant potins et commérages. Certains la trouvaient folle à lier, d'autres riaient de son aveuglement et une minorité enfin la comprenait, en quelque sorte. Ah ! ce n'était cependant pas pour ses méfaits qu'elle devint célèbre, mais pour sa dernière volonté. Il paraîtrait qu'elle aurait crié :

"Donnez-moi de l'or, donnez-moi saphirs et rubis ! Vous le pouvez bien, vous êtes riches et qu'en ferais-je ? Je serai morte dans une heure. Mais donnez-les moi, donnez-moi leur éclat ! Je veux le voir, qu'il se dépose au creux de mes prunelles. Donnez-moi ces joyaux, qu'ils m'offrent une dernière lueur avant que je ne m'éteigne, que j'aie enfin cette brillance que je n'ai jamais eue !"

Les Effacés - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant