Straight

S'interroger

Je suis assise au milieu de mes amis. A ma droite, Adélie parle à Nicolas. A ma gauche, Eliane a un débat enflammé sur les frites avec Paul et Sacha. Josépha, en face de moi, se lève. Je n'ai jamais compris la passion de certains adolescents pour MacDo. Les frites sont grasses, les nuggets, mieux vaut ne pas savoir ce qu'il y a dedans, les hamburgers trop salés, et les sodas, on en trouve partout. Au final, une bonne salade avec tomates, féta et avocats est meilleure. Parfois je me sens en trop. Je me demande ce que je fous ici. Adélie et Nico sont meilleurs amis depuis 6 ans, Eliane est en couple avec Sacha. Je ne m'entends que peu avec Paul, ramené dans le groupe par Josépha. Parfois j'ai l'impression que mes amis seraient tout aussi bien sans moi.

 Josépha revient des toilettes et s'exclame : "Il passe le dernier Marvel dans le ciné en face  !". Des exclamations de joie lui répondent. Mes amis se lèvent en se bousculant et dans un babillage incessant, ils jettent les restes de leur repas. Eliane se tourne vers moi.

- Tu ne viens pas Ju ?
- Non, je suis désolée, je dois rentrer tôt.

Elle me regarde d'un air suspicieux. 

- Il est 14 heures ! Tu as le temps de venir non ?
- Vu le temps que dure le film...

Je n'ai absolument aucune idée de la durée de film en question. J'aimerais bien pouvoir juste dire à mes amis : "Désolée, mais je n'ai aucune envie de passer l'après-midi en votre compagnie. Je préfère rentrer chez moi et faire une petite dépression en écoutant Girl in red." Eliane soupire. Elle sait que je mens. Elle se penche vers moi et m'embrasse. Mes amis me saluent et se dirigent vers le cinéma. Je suis seule. L'espace d'un instant, j'ai envie de leur courir après et d'aller avec eux. La compagnie m'empêche de penser. Je sais que je vais rentrer chez moi et penser tout l'après-midi à ce qu'il se serait passé si j'avais dit la vérité à ma mère. Mais je ne suis même pas sûre de moi. J'ai passé 9 mois avec une psychologue et je n'ai pas beaucoup avancé. Quand je suis allée la voir, c'était principalement pour mes problèmes de timidité. Du moins, c'était l'excuse que j'avais donné à ma mère. En vérité je cherchais des réponses. Et je ne suis pas sûre de les avoir trouvées. J'enlève mes chaussures et monte dans ma chambre. La chatte est encore là. Je l'appelle comme ça car nous n'avons jamais réussi à lui trouver un nom. Elle me regarde avec un air de défi. Si je veux récupérer mon lit, je vais devoir me battre. 

Après avoir réussi à trouver un compromis avec Groseille, je m'allonge sur mon lit et elle se met sur mes genoux. Il faut avouer que le gros avantage du chat, c'est que c'est un radiateur ambulant. Mes pensées tournent dans mon esprit et j'aimerais bien en attraper une. J'ai juste mal à la tête. Encore une fois, la question incessante, celle qui est toujours présente dans ma tête toque à la porte de mes pensées et sans attendre d'être invitée à entrer, elle s'installe, chassant toutes les autres : "Comment peux-tu être sûre ?" Cette question, je me la pose depuis 6 mois. En fait, depuis que j'ai à peu près établi que je suis bi. Je ne suis jamais tombée amoureuse. Comment être sûre ? La vie serait plus simple si un grand sage venait nous dire les réponses à toutes les question qu'on se pose. Mais je suppose que ce serait trop simple. Non. C'est quand même plus drôle de se poser des questions pendant des années et d'être malheureuse de ne pas trouver de réponses. Si c'était une autre que moi, elle aurait peut-être été sûre. La plupart du temps quand on pense aux filles et aux garçons et que l'on s'imagine embrasser sa meilleure amie, on doit être bisexuelle. Le problème, c'est que j'ai parfois l'impression de me forcer à ressentir des débuts de trucs pour des filles. J'ai toujours été une Alliée (= personne hétéro qui défend la cause LGBTQ+). Jusqu'à ce que je commence à me poser des questions. Et parfois, j'ai l'impression que je me force parce que je ne me sens pas en droit de défendre leur cause. Comment savoir ?