Se questionner

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Je me réveille en sursaut. Dans mes oreilles, la voix de Matt Bellamy résonne. Unnatural Selection. Je n'arrive pas à croire que je me suis encore endormie. On est samedi, et la nuit dernière j'ai dormi 10 heures. Je m'endors tout le temps en ce moment. Ma mère pense que c'est parce que je travaille trop. Mais en même temps, elle ne sait pas que je fait le minimum pour me maintenir à 14 de moyenne. Ma psy, elle, pense que c'est parce que je suis trop stressée et que je cogite trop. Elle n'a pas tort. Mon frère entre dans ma chambre. 

- File-moi Vanille, elle doit aller manger. Et papa demande à ce que tu fasses le repas parce qu'il ne rentrera pas avant 21 heures finalement.
- Et maman ?

Jules hausse les épaules et prend le chat dans ses bras. Je m'étire, enlève les écouteurs de mes oreilles, coupant Matt, et me lève. L'avantage d'avoir des parents qui ne sont jamais présents, c'est que je suis une experte en cuisine et ce depuis mes 12 ans. Je me lance dans la confection d'un risotto. Il est 18 heures. J'ai dormi 3 heures. Ça fait beaucoup. Mon téléphone sonne : c'est ma mère. Je ne réponds pas. J'ai l'impression d'être une gamine de 6 ans qui cherche à se venger. De toute façon, elle doit juste chercher à me prévenir qu'elle rentrera tard et que je dois m'assurer que Jules a bien fini ses devoirs. Si c'est plus grave que ça, elle laissera un message. Mon téléphone tinte à nouveau. Maman a laissé un message. Je mets le haut-parleur et l'écoute, tout en remuant le riz et les champignons : "Salut chérie, c'est maman. Je voulais te dire que j'aimerais bien qu'on se parle demain. Je t'emmène au resto si c'est ok pour toi. Bisous mon cœur, à demain." Je la trouve un peu gonflée. Je n'ai aucune envie d'aller déjeuner avec elle. En plus, je sais pertinemment que si elle fait ça, c'est pour que je me contienne. Je n'oserais pas faire de crise dans un endroit public, si ?

Jules entre dans la cuisine et commence à m'expliquer sa journée. C'est un gros bavard. Il grimace en voyant ce que je cuisine : il déteste les champignons, autant que je les aime. La soirée s'écoule, les minutes s'enchaînent, silencieuses. A 22 heures, aucun de mes deux parents n'est rentré. Je me sens seule. La maison est plongée dans le noir et elle exprime tout ses petits bruits. On pourrait penser que j'ai l'habitude du vide, mais non. Une peur incontrôlable m'envahit et je me réfugie sous ma couette pour échapper à tout ce qui pourrait m'arriver.

Vers 4 heures du matin, je me réveille. Je pousse un soupir et me tourne de tous les côtés pendant une bonne demi-heure. rien à faire, je n'arrive pas à me rendormir. Je rallume ma lampe de chevet et attrape le livre posé sur la table de chevet. J'essaie de lire, mais je ne peux pas me concentrer. Je n'arrête pas de penser à ma discussion avec ma mère ; ou plutôt la non-discussion puisque je n'ai pas réussi à lui avouer ce que je voulais lui dire. Une petite voix, dans ma tête, me persifle que si je n'ai pas pu lui dire, c'est parce que ce n'est pas vrai. Comment savoir ? Hétéro, bi, homo ? J'en ai marre de me poser des questions. 

-Alors arrête de t'en poser et acceptes le fait que tu es hétéro, me dit la voix.
- Ou que je suis bisexuelle au contraire, rétorqué-je.
- Mais tu ne comprends pas que ce n'est pas le cas ? s'énerve la voix. Tu n'es pas attiré par les filles ! Tu n'es jamais tombée amoureuse d'une fille et de plus, tu n'as commencé à te poser des questions qu'après avoir fait du bénévolat auprès de jeunes LGBTQ+. Tu as juste été IN-FLU-EN-CÉ !

Je me recroqueville sur moi-même. La voix est cruelle et méchante. Mais une part de moi ne peut s'empêcher de la croire. " Non ! Tu es bisexuelle, essayé-je de me convaincre." Je n'en suis plus si sûre tout d'un coup. Je veux juste arrêter de penser. Je pousse un grognement et attrape mes écouteurs. Je monte le volume à fond et essaye de me perdre dans les paroles de 4 am.



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