C'était peu dire que son récit m'avait bouleversée. Je le ressassais sans arrêt, nuits et jours, avec chaque fois une peine immense. À côté du drame qu'elle avait vécu, j'avais l'impression d'être une sale gamine capricieuse avec mon amourette impossible.
Nous avions renouvelé de nombreuses fois nos nuits à l'auberge, car je n'arrivais plus à me passer très longtemps de sa présence à mes côtés. Mais bien que je continue à la payer, je ne voulais plus lui faire subir les situations probablement humiliantes que je lui avais imposées jusqu'ici. Et je refusais encore plus de céder à mes envies puériles. Alors je m'interdisais maintenant de la toucher, et je lui avais même proposé que nous portions des chemises de nuit, en argumentant de la froideur de l'hiver.
C'était une demie-bonne idée. Effectivement je n'étais plus tentée par sa peau, ou la vue de ses formes si déliées. Mais maintenant je devais ignorer la vision beaucoup plus troublante de ses courbes en contrejour lorsqu'elle se tenait près de la cheminée. J'avais aussi arrêté de l'embrasser trop langoureusement, puis de l'embrasser tout court mais en contrepartie elle n'hésitait plus une seconde à se coller contre moi dans le grand lit froid. Je devais désormais gérer le moelleux de ses seins ou de ses fesses, mais aussi la sensation déchirante de son bassin lascivement posé le long de mes reins.
Bizarrement, toutes mes tentatives pour dresser des barricades entre nous rendaient nos interactions encore plus érotiques.Je trouvais une consolation à ma frustration dans les échanges et l'alchimie qui se créaient peu à peu entre nous. Violette avait une grande sensibilité et une intelligence innée pour détecter et s'adapter aux émotions des autres. Notre passion commune pour la musique était le fil rouge de nos discussions, mais cela nous permettait aussi de dévoiler nos autres centres d'intérêts. J'appréciais un peu plus à chaque rencontre sa vivacité et son empathie. Quant à sa volubilité naturelle, elle ne laissait jamais la place à l'ennui. Et lorsqu'elle était fatiguée, je me contentais de la regarder et de me repaître de sa présence.
A la fin du printemps, j'ai organisé un rendez-vous un peu spécial. Un moment qui, je l'espérais, devait permettre à mon esprit de se nourrir de sa présence tout en laissant mon corps oublier pendant quelques heures mon désir lancinant.
Pour garder la surprise, je lui avais simplement demandé de porter une tenue de soirée, et je n'ai pas été déçue en passant la chercher. Elle avait revêtu une robe fourreau au décolleté juste assez ouvert pour laisser deviner sans montrer. Ses épaules dénudées étaient recouvertes d'une étole en cachemire, et elle portait des escarpins mis en valeur par des collants blancs satinés. Mon cœur s'est mis à cogner tellement fort en la voyant que je n'étais plus sûre que cette sortie soit une si bonne idée. J'avais envie de la garder pour moi seule, et de la dévorer du regard toute la soirée.
J'avais acheté pour l'occasion une robe noire relativement sobre, excepté la présence de quelques volants qui donnaient une impression de volume en bas. Ma poitrine naturellement généreuse était soutenue par un décolleté discret, et seul un petit collier en or apportait un peu de couleur et de fantaisie à ma tenue.
Lorsqu'elle s'est assise dans la voiture, une bouffée de souvenirs de nos premières rencontres s'est brusquement imposée à moi. Ces derniers temps nous nous retrouvions directement à l'auberge, et je n'avais plus l'occasion de la voir dans cet espace si familier. La voiture, la robe, son sourire, sa fossette, tout s'est mélangé dans mon esprit pour aboutir à une incroyable et irrésistible envie de l'embrasser. Elle a vu dans mon regard à quel point elle me faisait de l'effet. Alors quand je me suis penchée, elle a tout simplement fermé les yeux, comme le premier jour. J'ai compris qu'elle me donnait l'autorisation de continuer.
Ce baiser, repoussé depuis plusieurs mois maintenant, était un véritable soulagement. Quel bonheur de retrouver de nouveau la chaleur mentholée de sa bouche. Tous mes nerfs ont été parcourus de frissons douloureux et délicieux. Contrairement aux autres fois, elle n'a pas attendu pour répondre à mon empressement. Sa langue est venue taquiner mes lèvres, ce qui a eu pour résultat de m'enflammer encore plus. Je me suis penchée un peu pour accentuer mon emprise, pendant que ma main posée dans son cou la maintenait fermement contre moi, même si c'était inutile. Je retrouvais ses habitudes, la manière dont elle enroulait sa langue autour de la mienne, sa respiration hésitante lorsque je la mordillais tendrement, la chaude humidité réconfortante de sa bouche, tout me revenait avec une clarté troublante. D'autres souvenirs étouffés depuis plusieurs semaines cognaient avec insistance à la porte de mon cerveau confus. Il s'en est fallu de peu qu'ils ne s'engouffrent dans le passage entrouvert par ma volonté chancelante. Une petite voix néanmoins me disait que tout cela n'était absolument pas raisonnable, et totalement contraire à l'objectif de la soirée. Je me suis lentement reculée, le souffle court, le cœur sur le point d'exploser. Ma main était descendue malgré moi de son cou vers la naissance de sa poitrine. Je l'ai retirée rapidement avant que ce geste ne fasse déborder la coupe déjà pleine. Ses mains étaient agrippées au siège de la voiture, tellement fort que ses jointures en étaient blanches.
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Murmurer ton nom
Short StoryAnna est une jeune femme active à qui la vie réussit. Mais elle est rongée jour après jour par son irrésistible et incompréhensible attirance pour son amie Laura. Pourtant elle sait que cet amour n'aboutira jamais. Dans une tentative désespérée pou...