1. Balade en forêt

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Ça faisait longtemps que l'idée avait germé dans ma tête. Chaque fois que je passais dans ce coin en fait. Je la voyais cette fille, qui attendait le client. Toute seule, en bordure de forêt. Au début, comme tout le monde, je m'étais juste apitoyée sur son sort. Puis un jour, un de ces foutus jours où j'arrivais pas à me sortir Laura de la tête, je suis passée devant elle pour la énième fois, et mon envie a pris forme.
Il paraît qu'elles ne font pas ça. Il paraît que même en payant elles refusent toujours. Mais je peux quand même demander, qu'est-ce que je risque ? Au pire, je reviendrai à mon point de départ. Et puis le fait que je sois une femme... peut-être que ça peut jouer en ma faveur ?
Après tout, je ne demande pas grand-chose. Je veux juste qu'elle me laisse l'embrasser sans rien dire, sans rien faire.

À partir de ce jour là, chaque fois que je passais près d'elle, je ne pouvais pas m'empêcher d'y penser. Chaque fois la scène se précisait dans mon esprit. Peut-être même qu'elle acceptera que je l'appelle avec son prénom. Peut-être qu'elle voudra bien mettre son parfum. J'espère que son baiser sera aussi doux que celui auquel je rêve.

Un soir d'été, en revenant du boulot, j'ai franchi le pas. Laura n'avait plus quitté mon esprit depuis plusieurs jours. J'avais beau me sermonner, me réciter toutes les bonnes raisons de ne plus y penser, m'étourdir d'activité, essayer de ne plus la voir, son image n'arrêtait pas de s'imposer à moi dès que mon cerveau prenait un peu de repos. Je m'imaginais en train de la serrer contre moi, de lui murmurer tous les mots d'amour que je contenais depuis trop longtemps, d'embrasser doucement ses lèvres, et de la sentir répondre.

J'aurais pu ne pas passer dans ce coin de la forêt. Ce n'était pas le chemin le plus direct. J'ai lancé le pari dans ma tête. Si elle est là, je m'arrête. Sinon tant pis. Elle était là. Je me suis arrêtée le cœur battant, j'ai gardé les mains sur le volant, et je n'ai pas coupé le contact. Elle a du croire que je m'étais trompée de chemin, je n'étais pas vraiment son client-type. Alors elle ne s'est pas approchée tout de suite. Mais au bout de quelques minutes je l'ai entendue toquer à ma vitre. J'ai ouvert. Elle s'est penchée vers moi.

- Bonjour, vous êtes perdue ?
- Bonjour, vous êtes libre ?
- Comment ça ?
- J'ai de l'argent.

Elle s'est penchée un peu plus dans l'habitacle de la voiture pour observer.

- Où est le client ?
- C'est moi.
- Ah, désolée, je ne fais pas ce genre de choses.

Elle a serré son sac contre elle et commencé à reculer. Mon cœur battait la chamade mais je ne pouvais pas abandonner si vite.

- Attendez !
- Je vous ai dit que ça m'intéressait pas
- Peut-être que vous pourriez tout de même écouter ma demande. Je ne veux pas de relation sexuelle.
- Alors qu'est-ce que vous voulez ?
- Montez dans la voiture et je vous le dirai.
- Non, ça ne marche pas comme ça. Sortez, et allons discuter dans le bois.
- Comme vous voulez.

J'ai éteins le contact, suis sortie de la voiture, et l'ai suivie dans le bois. Elle est allée  s'asseoir sur un gros tronc d'arbre à l'abri de la route passante.

- Si vous êtes là pour me faire la morale, c'est pas la peine.
- Non. Ce n'est pas du tout mon intention. J'ai vraiment besoin de vos services.
- Je vous l'ai dit, je ne fais pas les femmes.

J'ai pris mon courage à deux mains. Après tout ça ne servait à rien de tourner autour du pot, ça nous faisait perdre du temps à toutes les deux et peut-être des clients pour elle.

- Je veux juste vous embrasser.
- Je ne fais pas ça non plus, même avec les hommes.
- Je m'en doutais, mais je me disais que ... vu que je suis une femme ...
- Vous vous disiez quoi ? Il y a une éthique dans ce métier aussi !
- Ok excusez-moi. Je ne voulais pas vous froisser. Vous me rappelez quelqu'un. En fait vous lui ressemblez.  Et j'avais juste envie de vous embrasser. Bien sûr j'ai de l'argent pour payer. Je n'avais pas l'intention de vous faire perdre votre temps.
- Vous êtes lesbienne ? Si vous voulez je connais des bonnes putes lesbiennes.
- Non, je ne crois pas. En tout cas j'ai pas envie de ça. Comme je vous l'ai dit c'est juste que vous ressemblez beaucoup à quelqu'un et ... Enfin bref, c'est pas grave.
- Ce quelqu'un, c'est une femme ?
- Oui
- Alors vous êtes lesbienne ?
- Non. Oui. Enfin j'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que j'arrive pas à me la retirer de la tête. Et qu'elle est inaccessible. Ça fait longtemps que je vous vois chaque fois que je passe en voiture. Je me disais que peut-être si je pouvais vous embrasser, vous appeler par son nom... Peut-être que ça m'aiderait à l'oublier.
- Ça, ça m'étonnerait. Puis de toute manière je ne fais pas ça.
- Oui j'ai bien compris. Je vais pas vous embêter plus longtemps alors. Désolée de vous avoir fait perdre votre temps.

Je me suis levée, le cœur gros. C'est vrai, je m'en doutais. Mais finalement, savoir que ce mince espoir était lui aussi détruit me rendait plus triste que je ne l'aurais cru. Alors que j'ouvrais la portière de la voiture j'ai entendu des petits pas derrière moi.

- Si vous y tenez, je vais y réfléchir.
- Quoi ?

Je me suis retournée. Elle se tenait derrière moi et elle tripotait son sac nerveusement.

- Revenez demain. Je vais y réfléchir, et je vous dirai demain.
- Vous êtes sûre ?
- Puisque je vous le dis.
- Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux dire ou faire pour faire pencher la balance en ma faveur ?
- Non. Vous me semblez sincère. Et j'ai besoin de blé. C'est juste que... J'ai l'habitude des demandes bizarres... Mais il y a des limites à pas franchir.
- Oui, je comprends. Je ne vous en voudrai pas. Et comme vous l'avez dit, je ne sais même pas si ça m'aidera. Je reviendrai demain.
- Oui revenez demain, à la même heure.
- Bonne soirée.

Murmurer ton nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant