7. Rêve d'amour

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Au fil de toutes ces années passées à collectionner les mots, j'ai constaté une chose : on peut très souvent dire combien une personne en aime une autre à la façon dont elle prononce son nom. Je crois que c'est un des meilleurs sentiments au monde, lorsqu'on sait que son nom est en sécurité dans la bouche de quelqu'un d'autre ; lorsqu'on sait qu'il ne le criera jamais comme un juron, mais le prononcera ou le chuchotera comme un Il était une fois.

Les mots bleus de Félicie de Saci Lloyd

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J'étais dévastée, partagée, déchirée entre l'envie de la revoir et la douleur d'avoir ouvert les yeux sur notre relation. Et même si je n'arrivais pas à lui en vouloir, j'avais trop honte de m'être accrochée à cette histoire complètement folle pour oser la rappeler.

J'ai laissé plusieurs jours s'écouler entre désir et désespoir. Plus le temps passait, et plus son
silence me prouvait à quel point je m'étais fourvoyée. Les jours sont devenus des semaines, et ma peine est devenue un gouffre. J'ai peu à peu perdu tout espoir de la revoir, mais mon esprit refusait d'accepter cette réalité et je vivais comme une ombre, insensible et froide.

Et puis un soir c'est elle qui m'a appelée. C'était la première fois. Je n'ai pas pu empêcher mon cœur de s'emballer en voyant son numéro s'afficher. Mais j'ai répondu sans hésiter, avec même une pointe de soulagement.

- Bonsoir Anna, je te dérange ?
- Non pas du tout. Comment vas tu ? Comment se passent tes cours ?
- Très bien merci. Mais ... tu me manques, tu n'as pas appelé depuis un mois.

Comment pouvait-elle prononcer ces paroles aussi naturellement, comme si nous nous étions quittées la veille ? Comment pouvait-elle me reprocher de ne pas avoir appelé alors que c'était elle qui était partie avec mon argent, qui m'avait traitée comme une cliente anonyme ? Cela m'a fait mal. Et j'ai voulu qu'elle ressente cette douleur.
Je lui ai répondu sèchement.

- Que se passe-t-il  ? Tu as besoin d'argent ?

Un long silence a suivi.

- Non je me débrouille. Ça va. J'avais besoin d'un service mais j'ai l'impression que ce n'est pas le moment. Je te rappellerai plus tard.

Je me suis sentie stupide, encore une fois. Je ne voulais pas la perdre si vite, si bêtement.

- Non attend, ne raccroche pas. Excuse moi. Je ne voulais pas être si brutale. Tu ... me manques aussi. Un peu trop à vrai dire.

Il y a de nouveau eu un long silence, que j'ai brisé en premier.

- Quel est le service dont tu as besoin ?
- Et bien c'est un peu délicat, je ne sais pas si tu seras d'accord.
- Si tu ne demandes pas, je ne peux pas te répondre.
- Voilà, j'ai besoin d'un accompagnement au piano pour préparer une chorégraphie, pour l'un de mes examens. Le plus important en fait. Je me souviens que tu apprécies particulièrement les romantiques. Et il se trouve qu'il s'agit du Liebestraum de Liszt. Il me semble que tu le connais.
- Oui je le connais ... c'est un de mes morceaux préférés.
- Est-ce que ... tu voudrais bien m'accompagner ?
- Comment refuser ? Évidemment je le veux. Nous allons devoir nous entraîner non ? Quand est prévu ton examen ?
- Dans une semaine.
- Une semaine ? C'est bien trop court. Il faut que nous commencions le plus tôt possible. Es-tu libre demain soir ? 
- Oui je m'arrangerai pour l'être.
- Alors je vais t'envoyer mon adresse. Mon salon est assez grand pour s'entraîner si on pousse un peu les meubles.
- Oh merci, merci tu me sauves la vie !
- De rien, c'est le moins que je puisse faire. À demain alors.
- À demain. Et, Anna ?
- Quoi ?
- J'ai vraiment hâte de te revoir.
- ... Oui ... moi aussi ...

Murmurer ton nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant