Chapitre 4 : Repas nocturne

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        Je cillais lentement pour tenter de remettre le monde dans le bon sens. Le sens qu'il aurait dû avoir. Pourtant, les astres continuaient de briller avec insolence dans le dos d'un autre et l'herbe s'écrasait sous mes omoplates.

Une variable m'avait échappée. Une infime variante que je n'avais pas anticipé et qui me rappelait effrontément que tout ne tenait qu'à un fil.

Un Ben Parish transpirant, couronnait par les cieux, me dévisageait  sous la lumière crue de la lampe, une lueur étrange au fond de ses yeux sombres.

- Ça suffit, hurla-t-il en direction de l'adolescent, et j'eus pourtant l'impression que l'injonction s'adressait à moi.

L'ordre claqua jusqu'au plus profond de mon être. Pendant une micro-seconde, le coup de fouet me déboussola. Il créa une résonnance... qui agita quelque chose en moi. Je serrais les dents et, incapable de m'en empêcher, affrontais le regard incroyablement calme de Zombie. Je le soutenais avec défi, consciente que c'était ridicule, mais désireuse de ne pas céder si facilement. Je n'avais pas oublié la menace encore dressée à quelques pas de nous. Néanmoins, je me refusais à rompre la première le contact visuel. Tout comme lui alors qu'il inspirait.

- Ça suffit, Stricker. Murmura-t-il plus bas, en un avertissement que je ne pouvais ignorer, mais qui m'ébranla moins que l'usage de mon nom.

Sous son poids, conjugué à celui de son regard, la Silencieuse lutta encore un instant, puis s'inclina. D'une certaine manière, je commençais à comprendre pourquoi il avait été choisi comme chef d'escouade. Je pinçais les lèvres et tournais la tête vers l'obscurité. Je sentis son soupire soulagé sur mon visage. Un échange silencieux se déroula de l'autre côté. Je ne me rendis compte que j'avais retenu ma respiration que lorsque mon protecteur se redressa. L'air glacé de la nuit s'engouffra alors dans mes poumons et me rappela que le temps était compté.

Dégagée de la pression de Parish, je ne m'étais pas attendue à le voir encore devant moi, une main tendue dans ma direction. Je cillais, incrédule, et fixais sa paume sans réagir. J'avais distraitement conscience de son attente, alors que des pensées contradictoires submergeaient mon esprit. La méfiance se heurtait à un certain respect, le danger à une étrange sympathie.

Le brun patienta de longues secondes dans l'attente de mon verdict. Au moment où le doute allait lui faire replier les doigts, ma paume glissa dans la sienne. Je déglutis lorsque sa main se referma autours de la mienne. J'avais une conscience accrue de sa peau et de la pression qu'il exerçait. Pression qui se renforça quand il m'attira vers lui pour m'aider à me relever. Je le laissais faire sans opposer de résistance, trop distraite par le sourire éblouissant sur ses lèvres.

Le même que je lui avais déjà vu sur la photo de Cassie.

J'ignorais qu'il pouvait encore avoir un tel sourire. Une expression empreinte d'une joyeuse moquerie et d'une arrogante confiance, comme s'il se réjouissait d'une victoire durement acquise ou d'un secret que lui seul connaissait.

Le son presque étouffé d'une arme qui bascule me ramena à la présence du second soldat. Je dépassais Parish sans plus lui adresser un regard. La fascination qu'il exerçait sur moi me perturbait. Ma paume me brûlait. L'air froid ne faisait qu'accentuer le vide qu'elle enserrait. En miroir de mon esprit, mon corps me semblait gourd. J'avais besoin de bouger.

- Viens manger. Me rappela l'ancien golem de Vosh.

Je me figeais dans ma trajectoire, pourtant bien décidée à m'éloigner des deux humains et à disparaître parmi les ténèbres. La lassitude dans sa voix me picota la nuque. A moins que ce ne soit le poids de son regard.

- Je n'ai pas... commençais-je, avant qu'il ne m'interrompe de nouveau agacé.

- Stricker, tu as perdu du sang. Beaucoup, insista-t-il, me forçant à me retourner. Il faut que tu manges.

Always Human - Still Other (Publication irrégulière)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant