Chapitre 7 ( partie 1/3)

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Gabriel


Gabriel se redressa dans son lit et s'étira longuement avant de s'extirper des couvertures.

Deux jours plus tôt, il était rentré de la séance photo, la mine déconfite de la défection de Matthew et s'était confié à Heather, en visite à New York pour quelques jours.

Contrairement aux apparences, leur couple n'avait rien de classique.

Ils étaient amis depuis si longtemps qu'ils avaient cessé de faire le compte des années. La jeune femme avait toujours été un soutien sans faille pour lui. Notamment durant leur adolescence lorsqu'il s'était énormément questionné sur sa sexualité.

Le sujet étant plutôt tabou dans sa famille, elle avait été la seule oreille attentive et la seule épaule compatissante sur laquelle il avait parfois versé quelques larmes. En contrepartie, Heather avait trouvé en lui un ami fidèle et attentionné.

À l'aube de leur trentième année, ils avaient décidé, sous couvert d'un pacte signé plusieurs années auparavant, de se marier en attendant de croiser la route du grand amour auquel il ne croyait ni l'un ni l'autre.

Ils s'aimaient, il n'y avait aucun doute là-dessus, mais l'amitié prenait seulement plus de place que l'amour dans leur relation.

Après lui avoir parlé du défi et de ce qu'il avait ressenti, il s'était exprimé sur le comportement étrange, et presque distant, de Matthew. Ils s'étaient accordés sur le fait qu'une discussion avec son collègue était plus que nécessaire.

Malgré les moments d'intimité échangés sur le tournage, Matthew n'avait jamais fait preuve d'autant de gêne vis-à-vis de lui et il l'appréciait trop pour le laisser se débrouiller tout seul. C'est donc fort de cette envie qu'il se doucha rapidement, rejoignant ensuite son épouse pour le petit déjeuner, avant de prendre la route du studio de tournage.

Pourtant, quelques heures plus tard, alors qu'ils tentaient de filmer une scène pour la énième fois...

— Coupez ! Matthew qu'est-ce qui se passe ? Ça fait au moins dix fois qu'on la refait et tu bloques toujours au même endroit. Où est passée votre complicité ?

— Je suis désolé, Zac. Je fais de mon mieux, mais je...

Gabriel, bien conscient qu'un nouvel essai ne servirait à rien, se permit de lui couper la parole.

— On peut faire une petite pause, Zac ? Souffler deux minutes nous fera du bien, je pense.

Le réalisateur hésita un moment se grattant l'arrière du crâne dans une intense réflexion. Il consulta sa montre, puis le planning de tournage, puis une nouvelle fois sa montre, et releva enfin les yeux sur eux.

— Je pense que vu l'heure, on n'arrivera à rien de mieux. Je vous lâche pour ce soir, mais demain je vous veux en pleine forme et au taquet pour boucler cette scène en une prise.

Ils acquiescèrent d'un même mouvement, bien que le regard de Zac se soit surtout attardé sur Matthew, et prirent le chemin des loges.

Gabriel referma le battant derrière lui et s'y adossa pour observer la pièce. Tous les autres avaient déjà bouclé leur journée de tournage et ils étaient désormais seuls. Matthew lui tournait le dos et le reflet que lui renvoyait le miroir n'était pas pour le rassurer. Il se tenait là, le visage baissé et les paumes crispées sur le dossier du siège devant lui. Il n'avait pas dit un mot depuis leur sortie du plateau ni lancé un regard dans sa direction, comme s'il tentait d'occulter sa présence.

Gabriel s'approcha lentement et posa précautionneusement sa main sur son épaule. Matthew se crispa instantanément sous sa poigne pourtant légère.

— Hey, il faut vraiment que tu relâches cette pression que tu t'infliges à toi-même. Une scène comme celle-ci ne nous aurait jamais posé de problèmes avant.

Le sous-entendu était des plus évident.

— Je sais.

Matthew avait soufflé ces deux tout petits mots sans esquisser le moindre mouvement comme paralysé par la peur. Et c'était ça. Gabriel pouvait le ressentir au travers de sa paume. Matthew avait peur. Les muscles de son épaule vibraient sous la contraction intense qu'il leur imposait.

— Nous sommes amis, Matt. Rien de ce que tu pourras dire ou faire, ni même ressentir d'ailleurs ne pourra changer ça. Tout va bien, OK ?

À ces mots, Matthew sembla s'apaiser brusquement sous ses phalanges. Il pivota lentement sur ses pieds tandis que la main de Gabriel accompagnait son geste, ne rompant à aucun moment le contact avec son corps. Il plongea son regard quelque peu déboussolé dans le sien avant d'esquisser un timide pas en avant réduisant ainsi l'espace entre eux.

Gabriel avait l'impression de vivre la scène au ralenti. Il ne parvenait pas à savoir si c'était son imagination ou la réalité et il s'en moquait à vrai dire. Tout ce qui lui importait, pour le moment, était de voir Matthew s'approcher d'un pas encore, le rendant flou à ses yeux tant il était près.

Il perçut en premier la caresse d'un souffle se déposant sur ses lèvres, puis la caresse devint étreinte quand leurs bouches s'unifièrent toute en douceur. Le baiser était léger. À peine plus qu'un effleurement.

Gabriel refusa de réfléchir plus avant sur les raisons de ce geste et se contenta de glisser ses phalanges contre la nuque de Matthew, intensifiant ainsi l'étreinte de leurs lèvres. Comme il l'avait fait durant le défi, il prit tout le temps de savourer la délicatesse de cette bouche contre la sienne. Il pencha légèrement le visage sur le côté pour tenter d'approfondir ce qui ne pouvait l'être plus.

Leurs langues mutines ne s'étaient pas invitées à la danse, et pourtant ce baiser n'en demeurait pas moins envoûtant. Il sentait pulser le cœur de Matthew au creux de sa paume distraitement posée contre son torse. Les mains de ce dernier se faufilèrent timidement sur ses hanches, rapprochant leur corps de façon significative, leur faisant exhaler un soupir de bonheur partagé.

Il ne pouvait s'imaginer meilleures sensations que celles qu'il vivait à ce moment-là. Sentir la peau rugueuse de l'acteur caresser la sienne, percevoir leurs souffles courts se heurter entre leurs lèvres câlines.

Il n'aurait souhaité sous aucun prétexte mettre un terme à cet instant, il le fallait néanmoins.

Même si Matthew avait fait un pas vers lui, la situation était toujours incertaine. Il était important qu'ils en discutent et qu'ils posent des mots sur les émotions et les actes.

Il se recula donc pour rompre le contact, plongeant dans la douce lueur éclairant les prunelles de son partenaire. Seules leurs respirations saccadées troublaient le silence de la pièce jusqu'à ce qu'il ne se décide à parler, bien résolu à ne pas laisser Matthew s'enfuir encore.

— Cette fois, tu n'y couperas pas. Je m'invite chez toi. Il faut vraiment que nous parlions de ça. Nous ne pouvons pas laisser quoi que ce soit se mettre en travers de notre job.

Matthew acquiesça d'un simple signe de tête et ils passèrent les minutes suivantes à troquer leur costume de scène contre celui de ville, perdus dans leurs pensées respectives.

Perfect Illusion ( Nouvelle version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant