Prologue

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Vingt ans plus tôt.

Nos lèvres s'effleurent à peine qu'une nuée de papillons, clichée et grotesque, prend possession de mon estomac. Je ne sais même pas comment nous en sommes arrivés là.

Tobias est venu à la maison, travailler avec moi sur un devoir pour l'école. Nous nous sommes ensuite accordés quelques instants de détente, assis en tailleur, l'un en face de l'autre sur le tapis moelleux de ma chambre. Nous avons discuté, comme il nous arrive souvent de le faire lorsque nous passons du temps ensemble. Un drôle de silence nous a soudainement enveloppé. Mon regard a fureté sur ses lèvres entrouvertes, et sans que j'en prenne vraiment conscience, mon visage s'est penché vers le sien.

Tandis que nous nous embrassons, un bruit sourd attire mon attention et je me recule comme subitement brûlé par le contact de ses lèvres. Je jette un rapide coup d'œil vers la porte et me fige d'horreur. Elle est là, bouche ouverte, interrompue au milieu d'une phrase que je n'entendrai jamais.

Une vague glacée emprisonne mon cœur douloureusement et je crois même avoir cessé de respirer. Et puis brusquement, un feu d'enfer me vrille les entrailles et je bondis sur mes pieds, mû par un seul désir : celui de fuir. Fuir leurs regards, fuir la situation et peut-être aussi moi­-même... J'ai juste la présence d'esprit d'attraper ma veste avant de faire claquer la porte d'entrée et de courir le plus vite possible.

J'ignore où je vais, mais je cours. Faisant fi des larmes qui brouillent ma vue, je fonce droit devant moi, bousculant parfois les personnes qui croisent ma route.

Je ne sais même pas pourquoi je suis parti. Après tout, un premier baiser ce n'est rien. Ça ne signifie rien. Surtout quand on a douze ans. Et même si c'est avec un garçon. Ça ne fait pas de moi un...

À bout de souffle, je me penche en avant les paumes appuyées sur les genoux pour tenter de calmer ma respiration. Du revers de ma main droite, je chasse distraitement les perles salées ruisselant sur mes joues. Je m'en veux de laisser les émotions prendre le contrôle aussi facilement.

Mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?

Je me redresse en inspirant profondément et suis surpris de me trouver devant l'une des nombreuses entrées de Prospect Park. C'est un endroit où nous venons souvent, pour nos sorties, avec mes parents et mes sœurs. Je me souviens même y avoir fêté plusieurs de mes anniversaires.

Je passe les mains sur mon visage pour faire disparaître les dernières traces de larmes, et avance vers l'étendue verdoyante qui me tend les bras. Il y a beaucoup de monde. J'en profite pour me fondre dans la masse et croise les doigts pour passer inaperçu.

Ce parc est le lieu favori de nombreuses familles. Voir un enfant de mon âge se promener seul pourrait les interpeller. Je n'ai pas envie d'être repéré et ramené chez moi par des policiers.

J'ai besoin de réfléchir, d'être loin de mes proches pendant quelque temps. Je ne peux pas les affronter dans l'état actuel des choses.

J'ai embrassé un garçon. C'est bizarre.

Je ne sais même pas pourquoi je l'ai fait. Il était là, face à moi, il me parlait sans que je ne l'écoute, tant j'étais fasciné par la teinte rosée de ses lèvres qui se mouvaient au rythme de ses mots. Et puis sa langue est venue les humidifier. J'ai eu envie de savoir ce que ça ferait, de poser ma bouche sur la sienne. Est-ce qu'elle était aussi douce qu'elle semblait l'être ?

Je secoue vivement la tête dans tous les sens pour me sortir ces images du crâne, et surtout la honte qui m'a soudainement submergé quand nous avons été découverts. Elle aurait sûrement voulu en parler, et comprendre. C'est justement ce qui a précipité ma fuite.

Perfect Illusion ( Nouvelle version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant