Chapitre 11 : Atmosph-air (fin)

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Ma litanie en vitesse rapide dure aussi longtemps que mes coups sur ses clavicules, je reprends à peine mon souffle. Je suis si crispée de colère que mes paupières sont closes et mes gestes répétés à l'identique. Malgré son élan, mon courroux est anéanti par ses prises fermes autour de mes poignets. Et pour cause, la chaleur de ses mains sur ma peau remonte jusqu'à mon visage. Elle agit comme une bouillotte, ma fougue disparait presque malgré moi.

-On se calme, petite furie.

« Bien, maitre » semble répondre mon corps. Une autre colère me parait plus latente, elle refuse d'être ainsi maitrisée, cadenassée pour lui plaire, la liberté la guide et les liens la brisent. Les liens... l'attachement... Tout y revient. J'en ai marre. Je ne sais plus quoi faire. Deux options s'affrontent en moi sans arrêt. L'une veut battre l'autre. L'autre veut battre en retraite.

-Lâche-moi, ordonné-je d'une voix tremblante.

-Je crois pas, non. T'es pas dans ton état normal, là. On doit tout se dire. Tu te souviens ? Pourquoi ai-je l'impression de te revoir le premier soir sur le toit, où tu perds ton sang-froid avec une simple taquinerie ? Je croyais que ta haine était par rapport à ton père, avant. Est-ce aussi ainsi que tu exprimes ta tristesse, après le choc d'hier ? J'essaye de te comprendre, Léo, mais ce n'est vraiment pas facile. Et tu sais bien que ça a joué sur tes résultats, aujourd'hui.

Que répondre à cela ? Tout est emmêlé en moi, mais je sais une chose... Je me répugne de vivre dans des relations imaginaires. Elles me rappellent à quel point les réelles sont atroces. Après, est-ce seulement dû à mon père, à Kaï, à moi, je ne sais pas. Je cherche un coupable au milieu d'un sac de nœuds, ça me rend folle. Je croyais rendre mon avenir moins flou grâce à cette nouvelle destination qui m'attend, mais il semblerait que ce soit en moi que la chose bloque. Malheureusement, je ne peux fuir ce qui m'habite. Juste l'affronter. Comment affronte-t-on ce qu'on a du mal à voir ? Je relève les yeux dans un soupir. Mes iris plongent dans ceux de Kaï et mon cœur gagne en battement par minute. J'ai une vague de chaleur dans la poitrine qui me dit de l'embrasser, lutter contre elle me pompe de l'énergie. Puis j'ai l'impression de toucher du doigt une partie de la vérité. J'espère que Kaï s'en contentera, car je ne le dis que pour être relâchée au plus vite.

-J'ai...

Ma voix est si sourde et faible que la découvrir freine mon élan. Je reprends dans un glapissement.

-J'ai toujours avancé seule. Je me suis protégée. Je ne sais pas m'adapter aux conditions des autres. Je ne sais pas... m'adapter aux tiennes. Je ne sais pas... ce que je vaux.

J'aurais dû faire encore plus court. Ces derniers mots sont de trop et nourrissent des larmes nouvelles. Je me refuse à lui montrer ça et me dégage d'un coup de ses poignes qui se sont détendues sous l'ordre de leur maitre stupéfait. Il a de la tristesse plein les yeux, mais le reste de son visage ressemble à un poisson à moitié mort sur le rivage. Je l'ai à peine vu, avant de m'esquiver sur le parvis de la porte. S'il me respecte un minimum, il ne forcera pas sa venue ce soir.

-Léo !

Je ne fais que pivoter sous son cri, incapable de lui dire « Quoi ? », car je devine qu'il sera tremblant. Honteusement tremblant. Je ne pleure pas souvent et j'en ai ras-le-bol de ces montées d'émotion trop vives. Parmi tous ces repères que les entrainements de Kaï chamboulent, je ne gère plus grand-chose de mon habituel calme froid. Il s'est avancé, mais ne passe pas la barrière de ma maison. Il préfère encore porter la voix et se tenir loin. Au moins, il me connait assez maintenant pour savoir que venir ne servirait à rien.

-Et ton info sur ton père ? Tu ne veux pas l'avoir ?

Je déglutis, mais garde le silence. Ce qui compte, c'est de retenir le reste de mes pleurs en le fixant pour l'inciter à parler. Il se racle la gorge, embarrassé. Qui ne dit mot consent, j'espère que ce dicton existe sur Aéris...

-Néos était... très doué dans la dissimulation de ses particules. Il échappait aux perceptions des plus fins propriocepteurs. Peut-être que l'équilibre est moins ton fort, mais... je suis sûr qu'à la fin de ton stage, tu seras aussi habile que lui dans ce domaine. Personne n'excelle en tout. Anémois et humains sont pareils sur ce point. Tu as bien bossé, aujourd'hui.

J'acquiesce, mais je ne lui rends pas son léger sourire. Il ne saisit pas le gouffre qui me dévore, de plus en plus béant, tant il le fissure davantage. Pourtant, je sais qu'il dit cela pour que j'arrête de me déconsidérer. Il ne voit qu'une partie de l'iceberg. Je ne dis rien de plus et ferme la porte d'entrée. Dès qu'elle claque, le nœud dans ma gorge enfle et mes yeux s'échauffent. Je commence à renifler. Je monte quatre à quatre les escaliers, flanquant un vent à ma mère qui me lançait depuis la cuisine « Alors, cette sortie, c'était bien ? ». Oh maman... comme il me tarde de tout te dire... Peut-être es-tu la seule à me connaitre mieux que moi-même. 

L'apprenti-maitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant