Chapitre 1 : Myst-air (2)

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Il sourit, un sourire éclatant qui va jusqu'aux yeux verts, et écarte les bras comme s'il portait le costard dernier cri. En fait, non, il est en pantalon... turquoise ? Et porte des chaussures fluos. Je remonte le regard afin de ne plus avoir cette vision d'horreur, et c'est beaucoup mieux : monsieur est vêtu d'une veste en daim brune, a une petite barbe, rasée sur les trois-quarts des joues, qui contourne sa bouche et couvre son menton, il a les cheveux bruns un peu ondoyants, vu les rares mèches qui sortent de son chignon rikiki très serré... Au moins, son soin prouve que c'est pas un clodo ou un sorti d'asile. Mais la suite me fait douter tout de même !

— Moi, je suis comme toi !

Je grimace aussitôt. Si la carcasse est des plus sympathiques à regarder en dehors de son look étrange, le contenu a l'air défaillant. Je sors un sourire tordu, qui crie silencieusement à quel point ce mec est malaisant, et je n'ai qu'une hâte : rentrer chez moi à l'abri.

— Vous êtes comme moi ? Oh, intéressant, oui... Bien sûr... Vous devez avoir quelqu'un qui vous attend chez vous, je vais aussi rentrer chez moi, j'ai des devoirs. Bonne journée !

Je cours bien plus vite que si je devais fuir mes agresseurs habituels, car cette fois, je ne sais pas trop à qui j'ai affaire. Heureusement, ma maison est toute proche, ça ne me demande pas trop d'effort. Et il n'a pas l'air de m'avoir suivie. Je vais dans la chambre et rouvre la fenêtre, prête à prendre l'air sans risque. Elle donne sur le haut de la rue, si je reste assez basse, je ne vois pas les gens. J'ai juste des toits et des façades, du haut de mon deuxième étage. Ca aussi, c'est un de mes plaisirs. Enfin, plutôt, une solution d'apaisement. J'aime bien les toits.

Ce soir, quand je mange avec ma mère, je constate sa mine sombre et son manque d'appétit. Depuis qu'elle est entrée dans le salon à son retour en fixant la photo en noir et blanc de son vieux couple heureux, je sais que ce sera un « mauvais jour », aujourd'hui. Elle en a quelques-uns dans l'année. Parfois, à des dates symboliques. Parfois, sans rien de spécial autour. Il suffit que son travail l'ait harassée, qu'elle ait mal dormi et... les nerfs lâchent. Plus jeune, j'ai essayé de caser ma mère avec des types. Je me disais qu'il y avait quantité de mecs mieux que mon père dans ce monde. Mais elle n'était pas de cet avis. Elle remet régulièrement la bague de son seul mariage quand on sort, comme pour tenir à distance les dragueurs. Comme si son vœu d'éternité devant l'autel valait toujours quelque chose après son départ. Dans un soupir, je m'allonge dans mon lit, la tête tournée vers le mur que je gratte avec ennui. Il n'est même pas vingt-deux heures et j'ai déjà envie d'être le lendemain, d'enchaîner par défaut. Je décompte les nuits, jusqu'au jour où j'arriverai à me sortir de ce carcan. La mélancolie est une habitude dans cette maison, elle est sur tous les murs de la baraque et j'arrive pas à y échapper. C'est pour ça que, parfois, il me vient une envie de...

Boum !

Je me retourne aussitôt dans un grand sursaut. Mais ce n'est que ma lampe de bureau qui est tombée près de la fenêtre. Le vent, sans doute. Même si, quand je me penche entre les chassis, je ne constate pas de rafales. Bizarre. L'air frais m'appelle, la liberté aussi, et je les suis main dans la main sur les tuiles du toit, via mon autre fenêtre, plus petite. Là, enfin, je respire. Un petit sourire me revient, tandis que je contemple les toits sombres auréolés de mini-soleils sous les nombreux lampadaires. Assise sur le sommet, je profite du silence, qui devient tout à coup un cri de chat au loin, un bruissement dans des feuilles voisines, une alarme de voiture étouffée par la nuit...

— Eho ! Qu'est-ce que tu fais là-haut ? T'as pas peur de tomber ?

Non mais c'est pas vrai ! J'écarquille les yeux vers le timbré de tout à l'heure, sur le trottoir. Putain, on ne peut pas rêvasser tranquille ?

L'apprenti-maitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant