Nous nous posons contre un arbre et nous mettons à discuter plus simplement. Je me sens un peu plus « comme lui » à présent. L'impression d'avoir évolué me donne de l'espoir pour la suite et la proposition de Kaï finit de m'achever.
-Et si je te portais, sans te cacher le paysage, et sans te faire tomber ? A condition que tu essayes de te donner de l'ampleur dans les airs et de ne départiculer qu'une partie de ton corps.
-Et en quoi ça m'y aidera ?
-Eh bien... dis-toi que là-haut, tu n'auras certainement pas envie de perdre la vue. Tente de t'éparpiller, tout en pensant que tu veux continuer de voir... Mais attention ! Deux règles très importantes à respecter ! La première, c'est de ne jamais rester partiellement départiculée plus de trois secondes. C'est le temps que prennent tes muscles, organes et vaisseaux sanguins à se relancer. Imagine l'horreur si t'attends plus longtemps...
Je grimace aussitôt dans un bruit de dégoût, plongée dans une version pas fraîche de film de zombies. Je comprends mieux pourquoi mon corps s'est reformé d'un coup quand j'ai voulu récupérer mon apparence normale.
-Ouais, ce serait moche, admet-il au milieu de ses consignes strictes. La seconde, c'est de ne pas avoir deux personnes départiculées trop proches l'une de l'autre, qui se reforment en même temps. En fait, lors de nos exercices où nous serons tous les deux éparpillés, je serai toujours obligé de bien attendre que tu te sois reformée pour me réunifier aussi.
-Sinon quoi ?
-Hmm... disons que la moindre cellule étrangère à ton corps y serait mal accueillie. Un peu comme un rejet d'organe après une transplantation, tu vois ? Mais à l'échelle microscopique, autant te dire que tu serais incapable de retire le corps étranger toi-même. Sans compter que le corps à qui la cellule appartient attire d'office tout ce qui le compose, c'est le rôle de la particule mère, tu te souviens ? Donc... ça serait douloureux, et te déchirerait à l'usure la partie du corps où la particule de l'autre se serait logée...
-Mais... si je sens la douleur, je pourrais aussi me départiculer une nouvelle fois, non ?
Il s'avance avec une mine grave, jusqu'à percer ma distance tolérée. Je frémis, les yeux levés vers son regard dur, ignorant que ma main fermée devant ma poitrine le frôle.
-Non, ça ne va pas ainsi. Tu n'aurais pas le temps de comprendre ce qu'il t'arrive. Si la personne a laissé en toi des cellules vitales pour elle, elle peut mourir. Si elle touche une partie vitale pour toi et rappelle ses cellules alors que tu viens de te réunifier, tu peux mourir. Si ton sang n'est pas compatible avec celui de l'autre et qu'il parvient à rappeler ses cellules hors de toi, il peut mourir. Léo, ne déconne pas avec ça. Tu crois qu'on est des superhéros ? Qu'on a des « pouvoirs » absolus et sans faille ? Tu penses que ce que je t'offre, c'est un entrainement de guerrier pour devenir invincible ? Mais ça n'est rien de tout ça, jeune apprentie. Tu apprends à contrôler ce que tu es. Tu es une Anémoi et tu as des capacités spéciales qu'il te faut maitriser. Pour ton équilibre, pour celui des autres, parce que c'est ta nature et que tu ne pourras rien contre son existence. Mais ton corps est comme celui de ces animaux que tu croises ici, il a ses limites et ses faiblesses. L'écureuil est rapide dans les branches, mais il ne creuse pas la terre si on l'attaque au sol. La fourmi porte trois-cent fois son poids, c'est impressionnant, mais on l'écrase d'un coup de pied. Tu peux voyager, tu peux disparaitre ? La belle affaire, tu n'en restes pas moins une race dérivée de l'humaine, qui a besoin de vivre la plupart du temps sur ses deux pieds. Ce n'est pas pour rien. Non seulement se départiculer fatigue, mais il met en danger, et pas qu'à cause de la particule dorée. Toutes nos cellules sont utiles. Tu n'es qu'un grand puzzle, ne l'oublie jamais. Un puzzle de milliards de pièces, et s'il t'en manquait certaines, ça se verrait tout de suite. Certains meurtres ont eu lieu comme ça, entre Anémois. Nous ne sommes pas des surhumains. Va une seule fois à l'encontre de ces deux règles fondamentales, et je cesse d'être ton maitre d'apprentissage. Tu as bien compris ?
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L'apprenti-maitre
FantasíaLéo mène une vie ennuyeuse, sans amis, traquée régulièrement par des voyous du quartier. Ne l'appelez surtout pas Léonie, elle ne le supporte pas ! Ce prénom lui rappelle que c'est un choix de son "père", parti sans un mot l'année de sa naissance. ...