Esteban

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C'était ridicule, vraiment. Esteban ne savait pas où il était et ce qu'il faisait là mais il avait une certitude ancrée dans son esprit. Ça l'avait amusé quand même, ce monde tournait autour de lui, littéralement, et était prêt à lui offrir tout ce qu'il voulait pour compenser le manque, pour le faire rester un peu plus.

Il s'était retrouvé au volant d'une Mercedes, à porter des vêtements étiquetés Mercedes, à avoir des débriefing avec Toto Wolff, et il avait tout observé avec un certain détachement pourtant oui, oui c'est sur la liste des choses qu'il aurait aimé, aimerait faire, devenir.

Il gagne des courses et boit du champagne et reste émerveillé d'à quel point cet endroit semble réel.

Puis, les limites.

Il n'a jamais vraiment pu avoir de réponses à ses questions. Il peut avoir tout ce qu'il veut, sauf des mots. Des choses qui lui semblent trop étranges et improbables. Des erreurs peut-être, ou des incapacités ?

Il est en possession de tous ses souvenirs, ou du moins ne croit pas en manquer. Pas trop en tout cas. Il n'a aucune idée de comment il s'est retrouvé ici mais il a cependant gardé en tête tous les détails, toutes les choses, son parcours.

Comment il est arrivé en Formule Un, l'année de pause, le retour, le volant Renault et pas un autre. Mais surtout, et probablement ce qui manque le plus dans le monde, c'est la présence de vrais pilotes de F1. Ses adversaires, ses rivaux, ses camarades. Pour une raison quelconque il n'en a pas vraiment croisé.

Ses ambitions ruinées. Il a pensé ... il a pensé à toutes ces personnes et même Anthoine est réapparu devant ses yeux. Tout sourire, vivant, et il le connaissait peut-être un peu moins que Pierre mais la vision l'a rendu malade. Impossible de lui faire face, paumes de mains moites, sensation lourde dans son estomac, sa raison qui se révulsait, qui niait, qui rejetait tout ça.

Le monde était devenu flou, s'était brouillé, alors qu'il tentait de respirer correctement - il avait même du mal à se rappeler comment faire à ce stade. Il avait senti une lutte, quelque part, un déchirement.

Il est mort, il est mort, il devrait être mort, il ne peut pas être là, ce n'est pas possible, ce-

Litanie de mots qui avait eu du mal à cesser, qui avait pris tous ses efforts pour cesser. Et quand ses yeux s'étaient rouverts, Anthoine n'était plus en face de lui, il avait bel et bien disparu.

Et il n'était jamais revenu.

Si Esteban était sûrement trop conscient des limites de cet endroit, cet endroit l'était aussi par rapport aux siennes. Un certain équilibre. Une seule ambition; celle de le faire rester et à n'importe quel prix. S'il fallait effacer, s'il fallait recommencer, réécrire une histoire qui n'était pas dans le bon sens-

Il pouvait le demander et ça arrivait, simplement.

Il était maître de ce monde. Totalement. Aussi longtemps qu'il acceptait d'être maintenu en otage, il resterait à pouvoir faire et décider de ce qu'il voulait.

C'était marrant, jusqu'à un certain point. Il pouvait avoir les filles ... qui il voulait et le voir romancé de manière des plus romantiques à la façon la plus bateau possible. Il pouvait faire des scandales dans la presse sans en tirer de vraies conséquences et avoir le comportement le plus décalé possible que rien ne lui arriverait de grave.

(Un strip-tease auquel il s'est essayé dans une boîte, entouré de plein de personnes - son deuxième d'ailleurs - après avoir aguiché assez sévèrement plusieurs hommes n'est paru qu'un seul jour dans la presse. Quel dommage.)

Il se demandait jusqu'où il pouvait foirer, il se demandait ce qui lui serait accordé. Pas forcément par ennui mais par un besoin curieux de savoir, de savoir toujours plus.

where dreams don't dieWhere stories live. Discover now