1.
Madina
- Je suis là. Qu'est-ce qui se passe ? Demande Aissata en posant son sac sur la table à manger.
- Il se passe que ta petite sœur a complètement perdu la tête, repliqué-je en fixant Jamila.
- Si je comprends bien, tu m'as tiré du bureau pour un caprice de Jamila ? Demande-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
- Un caprice ? Ta sœur a décidé de partir en voyage avec son ado boutonneux.
- Ce n'est pas un ado boutonneux, proteste Jams. Nous sommes des adultes. On peut prendre nos propres décisions.
Je me retiens très fortement de lui mettre une baffe.
- Jamila, dis-je d'une voix que je veux posée. Tu as regardé trop de films. Ce voyage romantique en amoureux, ça n'arrivera pas.
- C'est ce qu'on va voir.
À bout de patience, je me lève et me plante devant elle.
- Tu me parles encore sur ce ton et je te casse la gueule.
- Non mais tu te prends pour qui ?
- On se calme les filles, dit Mounina en me tirant en arrière. Jamila. Tu ne t'attendais quand même pas à ce qu'on t'applaudisse et qu'on t'aide à boucler tes valises ? Si ? Avoue que ce n'est pas l'idée du siècle. Ça ne colle ni avec notre culture ni avec notre religion.
- Je n'ai pas de conseil à recevoir d'une femme qui sort avec le mari d'une autre, réplique Jamila sèchement.
Mounina pousse un cri de surprise. Puis son visage se décompose. Woah.
- Tu sors avec un homme marié ? Demande Aissata en levant les yeux de son téléphone.
- Nice of you to join us, commenté-je sarcastiquement. (C'est sympa de te joindre à nous).
Depuis qu'elle sait que l'objet de cette réunion d'urgence c'est Jamila, elle est scotchée à son écran. Néanmoins, elle ignore ma remarque et fixe Mounina dans l'attente d'une réponse. Tout comme moi d'ailleurs.
- Tu sors avec un homme marié ? Répété-je, incrédule à l'endroit de cette dernière.
- Oui, dit-elle d'une petite voix.
Je ne sais pas qui de nous est plus choquée. Mounina d'avoir été découverte. Ou Aissata et moi qui venons de l'apprendre. C'est qu'on parle de sainte Mounina là. Et dun homme marié. Le mari d'une autre femme.
J'ai tellement de questions. How ? When ? HOW ?
- Je ne savais pas qu'il était marié. Au début.
- Oui, mais tu le sais maintenant, commente Jamila. Et ça ne t'empêche pas de fricoter avec. Donc tes conseils garde les pour toi.
Mais xalé bi mo rew ! (Elle est impolie). Ça m'enrage de la voir s'acharner sur Mounina de la sorte. Quand c'est elle est la cause de ce meeting.
- Vous savez quoi ? Intervient Aissata. Je n'ai pas le temps pour ça. J'ai du boulot en suspens. Je ne me serais pas déplacée si je savais que c'était ça "l'urgence familiale". Jamila, bien évidemment, tu n'iras pas... c'était quoi déjà la destination ? Me demande-t-elle.
- New York.
- Merci. Tu n'iras pas à New York avec ton petit ami. End of the story. Et Mouna, je n'ai même pas l'énergie pour cette conversation. On en reparle plus tard.
Elle prend son sac mais les mots de Jamila la stoppent net dans ses tracks.
- Tu ne peux pas m'interdire d'y aller. Tu n'es pas ma mère.
Une expression douloureuse passe sur son visage. Elle inspire profondément avant de répondre.
- Je ne suis pas ta mère, mais je reste quand même ta tutrice légale. Et au cas où tu aurais oublié, tu es encore mineure et tu as besoin d'une autorisation pour sortir du territoire. À quel moment tu t'es dit que qu'on serait d'accord avec cette idée ? En tout cas, c'est un non irrévocable.
- Bientôt, j'aurais 18ans.
- En attendant, tu te plies aux règles de cette maison. Plus vite tu te fera à l'idée, mieux on se portera toutes, Jams. Mounina tu retournes au boulot ?
- Oui. Mais j'ai ma voiture. On se retrouve là bas.
- Ok.
Elle s'en va et le bruit de ses talons martelant les carreaux comble le silence qui s'est installé.
Jamila, comme la petite insolente qu'elle est, sort en tempête, en disant à qui veut l'entendre qu'elle déteste sa vie et qu'elle nous déteste toutes. En voilà une qui regarde trop de films.
Je me retrouve seule avec Mounina.
- Ne me regarde pas comme ça.
- Comme quoi ?
- Comme si j'étais la pire des garces.
- Je suis surprise c'est tout. Pourquoi tu ne nous en a pas parlé ?
- J'avais peur que vous me jugiez.
- Comment ça se fait que Jams soit au courant ?
- Elle m'a surpris avec lui au resto et il se trouve que c'est le mari de la cousine d'une de ses potes.
- Je vois. Mais raconte. Donne des détails.
- On s'est rencontré y a trois mois.
- Trois mois ? Depuis trois mois tu es avec quelqu'un et tu ne nous as rien dit ? Est-ce qu'on est aussi terribles que ça ?
- Écoute, je suis la première surprise. La première choquée. Ça me dépasse toute cette histoire. Mais je l'aime tellement.
- Tu devrais savoir que quelle que soit la décision que tu prends dans ta vie, nous te soutiendrons. Que cela nous plaise ou pas. On est là pour ça.
- Je sais.
- Wesh mais les détails.
- Plus tard, Madina. Je dois retourner bosser. Je vous en parle au dîner. Ça m'évitera de me répéter.
- Okay. À ce soir alors.
Je monte m'allonger en pensant à Jamila. C'est qu'elle a complètement perdu la tête . 17ans, et elle pense qu'elle va passer les vacances sur un autre continent avec son copain. N'importe quoi.
C'est vrai qu'elle est capricieuse. Mais même si on n'est pas comme les doigts de la main elle et moi, je sais qu'elle a un bon fond. Si papa et maman étaient là, ça ne se passerait pas comme ça. C'est certain.
Je soupire en songeant pour la énième fois à toutes les choses qui seraient différentes si mes parents étaient là.
Jamila a beau être une peste, je ne veux pas qu'elle de brûle les ailes. J'ai eu 17ans moi aussi. Je sais ce que ça fait de croire que c'est pour la vie. Le pourcentage de couples qui sont effectivement restés avec leur amour du lycée est dérisoire.
Avec toute l'expérience que j'ai des hommes, je sais que ce sont des profiteurs pour la plupart. Ils sont là pour prendre ce qu'ils pensent être leur dû.
Mon motto en ce qui les concerne c'est d'agir exactement comme eux. Je n'ai pas ces limites que les femmes se sont imposées, ou que la société nous a imposées. Non, moi je prends ce que je veux, comme je le sens. Point barre.
