Chapitre 10

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Taha

Pour quelqu'un d'aussi pragmatique que moi, l'incertitude est intenable. Je ne supporte plus le manège de Jamila. Au début, j'avais des doutes. Seulement là je, ne peux plus faire l'aveugle, ni lui trouver des excuses. Elle est bel et bien en train de s'amuser avec moi.
Déjà, le jour du mariage, elle était hyper chelou. À un moment, elle est venue s'assoir sur moi parce qu'il n'y avait plus de place assise. C'est Madina qui a l'habitude de faire ce genre de bêtises. Ça ne m'a jamais dérangé avec Madina, parce qu'il n'y a jamais eu d'ambiguïté.
Mais depuis que Jamila a commencé à m'allumer, le fait qu'elle vienne s'asseoir sur mes jambes ne m'a pas laissé indifférent. En plus, comme maman a préféré habiter avec les filles plutôt qu'avec moi, je passe beaucoup de temps chez elles.
Avec Jamila tout est flou actuellement. Je n'arrive plus à distinguer si elle se comporte naturellement avec moi ou si elle me fait les yeux doux. Si ce short qu'elle a mis hier c'était de manière innocente ou si c'était de la provocation à mon égard. Et ça me rend fou.
J'ai besoin de mettre les choses au clair. Elle doit cesser cette comédie malsaine. Peu importe ce qui lui passe par la tête, elle doit comprendre qu'il y a des limites dans la vie.
- Qu'est-ce qu'il y a mon bébé ? Tu as l'air préoccupé, me dit ma mère.
- Ça va maman, tout va bien.
- C'est une fille, c'est ça ?
- Pas vraiment.
- Aha ! Pas vraiment, donc oui. Quand est-ce que tu me la présentes ? Ne prends surtout pas ton temps parce que moi, je rentre bientôt.
- Maman. Il n'y a pas de fille. Je suis plus libre que l'air.
- Ma begn dé. Do tass sama yakkar. (Je refuse que tu brises mes espoirs)
- Mais ?
Je ris en l'écoutant me forcer à avoir une copine. Si seulement elle savait que c'est sa cadette qui me cause des soucis, elle tiendrait un autre discours.
- Tu sais quoi ? Je vais rentrer avant que tu ne me choisisses une date de mariage avec ma copine imaginaire.
- Tu ne restes pas dîner ?
- T'en fais pas, je mangerai à la maison. Je vais dire au revoir aux filles.
- Si tu veux, on peut te faire une gamelle. Le dîner doit être prêt déjà.
- T'inquiètes, Néné.
- Tu passeras demain ?
- Si je ne finis pas trop tard.
Je lui fais une bise.
- Love you.
- Love you too.
En sortant, je croise Jamila devant sa chambre.
- Justement, je voulais te parler.
- Moi ? Entre.
Entrer dans sa chambre ? Malade elle.
- Non, je préfère pas.
Elle sourit malicieusement.
- Allons au salon alors.
- Je ne veux pas que ma mère ou tes sœurs débarquent en plein milieu de la conversation.
- Ah frère, khana tu vas m'annoncer que t'as tué quelqu'un ? Bon viens, allons sur la terrasse.
Elle mène la marche et je la suis jusqu'à la terrasse. Ça faisait longtemps que je n'étais pas monté ici. Enfants, on aimait bien organiser des nuits blanches ici. Tellement de choses ont changé depuis.
C'est bientôt le crépuscule. Des rayons oranges criblent le ciel. C'est apaisant d'être ici. Mais pas suffisamment pour me faire oublier l'importance de la conversation qu'on s'apprête à avoir.
On s'accoude au bord de la terrasse, face à face.
- À quoi tu joues Jamila ?
- C'est-à-dire ?
- Tu sais très bien de quoi je parle. D'abord, tu m'embrasses out of the blue. Ensuite, tu commences à dire et faire des bêtises. À quel moment, tu te dis que c'est une bonne idée de m'allumer ?
- Moi, t'allumer ? Haram.
Elle le dit en souriant.
- J'ai l'air de plaisanter là ? Ne joue pas à ça avec moi.
- Ah tonton, si toi tu te fais des idées, ce n'est pas de ma faute.
- Tu sais Jamila, je t'aime beaucoup. Je tiens à ma relation avec toi et avec tes sœurs. De ce fait, je n'aimerais pas qu'on en arrive au stade où quelque chose se brise entre nous au point de plus pouvoir être réparé. J'ignore ce qui se passe dans ta tête. Je ne sais pas si c'est un jeu pour toi, un pari, une sorte de rébellion ou si tu as tout simplement perdu la tête. Dans tous les cas, il faut que ça cesse. Regarde moi bien, je ne le dirai qu'une seule fois. Tu es ma petite sœur, et ça ne risque pas de changer.
Elle m'écoute en se triturant les lèvres.
- Ce comportement que tu as, non seulement il ne te mènera nulle part. En plus, petit à petit tu perds l'estime qu'on a pour toi. Ça me fait peur honnêtement. Si tu es capable de te comporter comme ça avec moi mais qu'est-ce que tu fais dans la rue ? En tout cas, sache une chose, les hommes n'aiment pas la facilité. Jouer, on maîtrise. Dénigrer les femmes, pareil. Mais choisir aussi, on sait très bien. Voyager avec son amoureux, voler de l'argent, se jeter sur le premier venu... C'est quoi la suite ?
Plus je parle, plus je m'emporte.
- Dans ce monde, il y a les gens bien et les gens moins bien. Choisis ton camp. En tout cas, moi, je ne vais pas faire partie de tes combines de gamine. Soit tu cesses de faire l'idiote. Soit, tu traces ta route, je trace la mienne. Imagine si j'allais raconter cette histoire à Néné. Mais tu lui briserais le cœur. Tu es fière de toi là ? Réponds moi. Est-ce que tu arrives à te regarder dans le miroir ? Moi, en tout cas, tu me déçois.
Son assurance a disparu. Elle a les yeux baissés. Encore heureux ! Peut-être qu'il y a encore de l'espoir pour cette petite.
Une larme roule sur sa joue. Elle l'essuie en reniflant et se mord les lèvres en luttant visiblement contre les larmes.
Elle me fait pitié, mine de rien. Je sais qu'au fond, elle n'est pas mauvaise. C'est juste une adolescente débridée. On lui a tellement facilité les choses, moi y compris, qu'elle se croit tout permis.
Cela me fait de la peine de la voir dans cet état.
- Allez, viens là.
Je la prends dans mes bras.
- Arrête de pleurer, Jams. Tu sais que j'ai horreur de ça.
Je lui caresse le dos en espérant que cela la calme.
- Je sais que je ne suis pas un bon exemple. Et peut-être que je m'y suis mal pris en te racontant mes bêtises de jeunesse. Ce dont je ne t'ai pas parlé en revanche, c'est des regrets. Les regrets qui arrivent inévitablement avec l'âge, avec le recul. Tu arrives à un moment où tu aurais aimé faire les choses différemment. Ne serait-ce que par rapport à ta relation avec Allah. Tu regrettes d'avoir fait certains choix, blessé des personnes au passage, batifolé à droite à gauche. Et tu sais quoi ? À la minute où la religion prend le pas sur tout le reste, c'est là où tu trouves cette paix dont nous sommes désespérément à la quête. J'ai fait beaucoup d'erreurs et j'ai appris d'elles. Je ne suis plus cette personne mais les regrets subsistent. Et des erreurs, tu en feras aussi. Je veux juste t'éviter qu'elles soient monumentales. Tout ce qu'on veut, c'est que tu sois meilleure que nous. On essaie de t'imposer des limites et tu te rebelles parce que tu crois savoir mieux. Mais on parle d'expérience. Et ça tu ne le comprendras que plus tard. Je sais que ces phrases sont redondantes pour toi, que tu n'as pas envie qu'on te dise quoi faire. Ce n'est pas dans le but de contrôler ta vie, non. Nous voulons juste t'éviter les routes cabossées par lesquelles nous sommes passés. Tu comprends ?
Je recule un peu et lui enlève des mèches de son visage.
- Arrête de pleurer, toi aussi.
Elle incline la tête et se tamponne les yeux avant de me regarder. Quelques secondes passent. Sans comprendre comment, je me perds dans ses yeux. Je n'avais jamais remarqué qu'elle avait de si beaux yeux.
D'un coup, je ne suis plus en train de la consoler. Je me retrouve plutôt avec une folle envie d'embrasser ses lèvres entrouvertes. Seigneur Dieu. Cette fille est train de me faire perdre la tête.
San parvenir à résister, mes mains attirent ce visage interdit. Jamila ne me facilite pas la tâche en comblant les derniers centimètres qui nous séparent. On se retrouve bouche contre bouche. Je dois l'avouer : malgré mes grands mots, j'en ai rêvé depuis cette première fois.
Pendant une seconde, j'oublie que suis entrain d'embrasser Jamila.
Puis, la réalité me rattrape. C'est Jamila quand même. Je ne peux pas lui demander de se ressaisir et lui sauter dessus la minute qui suit. À contrecœur, je la lâche.
- I'm sorry. I don't know what got into me. Won't happen again. (Je suis désolé. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Ça n'arrivera plus)
Pour toute réponse, elle m'embrasse à nouveau. Quand je disais qu'elle ne me facilite pas les choses.
On ne se sépare qu'en entendant l'appel du muezzin.
- Mais qu'est-ce qui nous prend ?!
Elle ne répond pas.
- Tu réalises qu'on ne peut pas faire ça ?
- Why not ? (Pourquoi pas ?)
- On est cousins Jams.
- Et ?
- Jamais je ne mettrais en péril nos relations à cause de ça. Thiakhane meunteu am suniu diguenté. Daf si khadioul sakh. (Il ne peut y avoir de batifolage entre nous. C'est inimaginable)
Qu'est-ce qui m'a pris de l'embrasser ? Avec tout ce que j'ai dit ici.
Non wéré na nak ! (J'ai fait n'importe quoi) J'essaie de rattraper le coup tout en sachant que je n'ai plus aucune crédibilité.
- C'est tout à fait normal que tu aies des envies. Ton corps a changé. Puis, il y a les hormones tout ça. Je comprends. Et merde moi, je n'ai aucune excuse. c'état un moment de faiblesse. Qui ne se reproduira plus. Look, can we pretend this never happened ?(Est-ce qu'on peut faire comme s'il ne s'était rien passé ?)
Elle me regarde longuement avant de répondre.
- As you wish. (Comme tu veux)
- Ok. Cool. On ferait mieux de redescendre.
Elle mène à nouveau la marche et se dirige directement dans sa chambre tandis que moi, je prends quelques secondes pour assimiler tout ça.
What the F ?!
La bêtise ça doit être un trait de famille. Incroyable.


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