Chapitre 4

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Ce chapitre est pour Rougui Ba. Merci ma puce d'avoir partagé et fait connaître Flamme ♥️
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Madina

Au lieu de la journée soins que j'avais proposé à Aissata hier, on a décidé d'aller bruncher en famille. Bien sûr, notre thiate nationale (cadette) a décidé de faire des siennes et de rester à la maison. Grand bien lui fasse.
On a bien choisi notre jour en plus, il fait bon. Il est un peu moins de midi lorsqu'on arrive à Mawa's.
Nos commandes arrivent rapidement. En plein milieu du repas, Mounina nous fait remarquer que Taha était installé quelques tables plus loin. Taha c'est notre cousin germain, le fils aîné de Néné. Mais aussi mon meilleur ami.
Je compose aussitôt son numéro mais son téléphone doit être sous silencieux puisqu'il ne le regarde même pas. Je lui laisse donc un message.
Il me rappelle quelques minutes plus tard. Je décroche et lui demande de se retourner. Quand il tourne la tête, je lui fais signe de la main. Il sourit en nous voyant.
Mon regard est alors attiré par son voisin de table. Seigneur, quel homme ! Je suis immédiatement par lui. S'il veut, je lui fais des enfants là tout de suite. Il est beau nom de Dieu.
Taha se lève et se dirige vers nous, m'obligeant à me concentrer sur lui. À contrecœur, je l'avoue. J'aurais préféré continuer à me délectée du spectacle.
Il nous fait la bise à toutes les trois et demande après Jamila.
- Akh, tu la connais avec ses caprices non ? Elle ne voulait pas venir.
- C'est dommage, j'aurais aimé la voir.
Au même moment, le téléphone d'Aissata sonne. Elle échange avec son interlocuteur pendant quelques secondes puis raccroche et nous fait savoir que c'est Ousmane qui l'appelait.
Jams serait sortie malgré sa punition. Quelle surprise. Apparemment, un jeune homme est passée la prendre et ils sont partis ensemble. Cela ne me surprend pas plus que ça.
- Je ne sais plus quoi faire d'elle, se plaint Aissata, dépitée.
- Ne fais rien. Cette fois, je m'en occupe.
- Et tu vas faire quoi exactement qui va lui remettre les idées en place.
- Fais moi confiance. Elle va redevenir la Jamila docile d'avant. D'ailleurs, inutile de lui dire qu'on est au courant pour sa sortie. Laisse la dans sa bulle. Elle ne sait même pas ce qui l'attend.
- Mais ? C'est quoi ce charabia ? Qu'est-ce qui se passe avec Jamila ? Demande Taha.
- Longue histoire, frère. Je t'explique plus tard. T'es venu avec qui sakh toi ?
- Des amis à moi.
- Trash ou husband material ? (Ordures ou hommes à marier ?)
- Danga rew ba danga doff yow. (T'es impolie au point que ça frise la folie)
- Mais je demande juste. C'est pas interdit non ?
- Ok, si je te dis husband material, tu vas faire quoi ?
- Casting. Sélection. Plus, si affinités.
Tout le monde éclate de rire.
- T'es irrécupérable. Bon les filles, faut que je vous laisse. Vous me manquez nak. Faut que je passe manger à la maison ces temps ci.
- Tu dis ça tout le temps. Et on te voit jamais, se plaint Mounina.
- Cette fois, c'est promis.
- Façon, c'est bientôt mon anniversaire, renchéris-je. Faut que je t'envoie ma wishlist.
- Madina, tu me coutes trop cher. Faut vraiment qu'on te trouve un mari, que tu me foutes la paix.
- Tu penses que le mariage va t'exempter ? Tu rêves mon pote. Tu es Mon homme.
- Notre, corrige Mounina.
- Bon, je retourne d'où je viens avant que vous ne me plumiez complètement.
Je le suis des yeux jusqu'à ce qu'il se rassoit, dans l'espoir de capter à nouveau le regard de son ami. Sans succès.
De temps à autre, je lance une regard vers sa table sans y parvenir pour autant. Comment ça il me calcule pas ? Non copain, non. Faut me regarder.
Une heure plus tard, nous avons fini et réglé l'addition. Je force les filles à aller dire au revoir à Taha. Uniquement dans le but de me faire remarquer par son ami.
On lance un bonjour collectif, Taha nous présente comme ses cousines. En retour, on lui fait savoir que nous rentrons.
Mon futur mari et moi on se regarde dans les yeux pendant quelques secondes. En fait, je l'ai fixé jusqu'à ce que nos regards se croisent. Je lui fais un petit sourire avant de détourner e regard. C'est ma technique à moi. Le regard qui attire l'attention. Maintenant la balle est dans son camp. J'espère qu'il va demander après moi...
- Bismillah diam. Tu as failli manger l'enfant d'autrui Madina, s'esclaffe Mounina dès qu'on tourne le dos.
- Mais est-ce que tu as vu l'enfant d'autrui ? Allahou. Kii sama plat leu. Meun na thi lekk matin, midi, soir sans souci. (C'est un homme dont je pourrais me nourrir matin, midi, soir)
- Eupeul mga ba diaxal ma, dit Aissata en secouant la tête. (Tu es démesurée)
- Ne te fais pas trop d'illusions, ils ne sont jamais célibataires ceux-là, commente Mounina.
- Tu comprendras aisément que l'homme d'autrui pourrait être aussi le mien, dis-je en mettant mes lunettes de soleil.
Son expression se teinte légèrement. Je comprends alors que je l'ai blessée. Je sais qu'elle a beau être avec un homme marié, la situation ne l'enchante pas pour autant.
On arrive à la maison bien vite puisqu'il n'y a presque pas de circulation en ce dimanche. Dans le vestibule, je rappelle aux filles de ne pas parler à Jamila. J'ai une idée en tête et je compte la mettre à execution de suite. Dès que j'arrive dans ma chambre, je prends le téléphone de Jams que j'ai toujours en ma possession. J'essaie plusieurs codes sans arriver à le déverrouiller.
Finalement, je tente le tout pour le tout. Je vais toquer à sa chambre. Elle ne répond pas. Je rentre quand même et la trouve en train de dormir. Ou en tout cas de faire semblant. J'avance jusqu'à sa hauteur, positionne le téléphone au dessus de son visage. Et bingo. Je lui fais un petit bisou sur le front pour sauver les apparences et ressors sans perdre de temps.
Dans son répertoire, je trouve le numero de son chéri et le copie sur mon téléphone. La première partie du plan a été beaucoup plus facile que je ne le croyais.
Jamila va retrouver ses esprits par A ou B. Il n'y a pas d'autre option.
Dès le lendemain, je mets ma combine à exécution. J'attends que Jamila rentre de l'école pour envoyer un message à son Yohan en me faisant passer pour elle. Pour me couvrir, j'utilise une puce Tigo qui date de mathusalem et qu'aucune de mes sœurs n'a pas dans son répertoire. Je lui donne rendez-vous dans un jardin public dans une heure.
Dès qu'il confirme, je me mets en route. En sortant, je croise Mounina qui rentre du travail. Elle me demande où je vais et je promets de lui raconter à mon retour.
Malgré les bouchons, j'arrive en avance. En scannant les alentours, je repère un jeune homme assis tout seul sur un banc et tente le tout pour le tout.
Sans perdre de temps, je me dirige droit vers lui. Je le salue, et sans ambages, lui propose 10000f pour qu'il prenne me prenne en photo quand il me verra embrasser un jeune homme.
Il écarquille d'abord les yeux avant d'éclater de rire et de me demander où sont les caméras.
- Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ?
- Dans ce cas, tu ne dois pas avoir toute ta tête.
- Alors c'est oui ou non ? D'ailleurs je double la somme. 20000f. Pour une photo impeccable ou deux.
Il rit à nouveau, scandalisé.
- Wa legui lo koy doyé sakh ? (Pourquoi veux-tu ces photos ?)
- Ça, mon frère, ça ne te regarde pas.
- Les femmes ne cesseront jamais de me surprendre. Vous êtes incroyablement vicieuses. C'est clair que tu n'en feras pas bon usage.
- Merci pour la leçon de morale. Au revoir.
Je lui tourne le dos. Et il me retient.
- 50000f et je le fais.
L'être humain. De grands mots, pour agir comme de la vermine.
- Et c'est moi qui suis vicieuse ?
- Tu vas probablement détruire la vie d'une personne, et je vais y contribuer. Autant que le péché en vaille la peine.
- 30000. À prendre ou à laisser.
- Ok.
- Cet argent, j'en ai vraiment besoin. Ma mère est malade. Sinon, jamais je ne participerais à un acte aussi bas.
- Inutile de te justifier. Je n'en ai que faire. Et qu'on soit clairs dès à présent : si les photos ne sont pas claires, je ne paie pas. Je retourne à ma voiture avant qu'on nous voit ensemble. Dès que tu me verras m'assoir avec un homme, tu sauras que c'est de lui dont il s'agit.
Je tourne les talons et retourne à ma voiture où je guette l'arrivée de Yohan. Il arrive moins de dix minutes plus tard. Je le reconnais de par la photos que j'ai vues dans le téléphone de ma sœur. Je le laisse s'installer, parcourir le les alentours des yeux, puis se concentrer sur son téléphone portable. C'est mon signe pour m'approcher calmement.
- Salut. Désolée de te déranger. J'ai besoin d'un service, déballé-je d'une traite en prenant mon visage le plus innocent.
Il enlève ses écouteurs et me fixe perplexe.
- Euhh ?
- En fait, c'est mon enterrement de vie de jeune fille aujourd'hui et mes copines ont organisé une liste de défis à faire. Mon Dieu, j'arrive pas à croire que je vais dire ça, dis-je en me prenant le front.
J'inspire profondément et me lance.
- Je suis censée embrasser un inconnu. Pas un baiser baiser. Juste vite fait. Maintenant que je le dis tout haut, je réalise à quel point c'est stupide. C'est ridicule, n'est-ce pas ?
- Euhh...
Il semble pris de court.
- Tu dois te demander pourquoi je le fais du coup ? C'est qu'on a cette tradition entre nous... C'est presque devenu une histoire d'honneur. En tant qu'homme, je suis sure que tu comprends. Tu dois me prendre pour une folle. Je ne fais que parler. Est-ce que tu peux m'aider ?
- Je ne pense pas non. J'attends ma copine.
- Oulaaa. C'est mignon. Et pendant ce temps, moi qui me marie demain, je veux faire un bisou à un autre homme. Mais qu'est-ce qui les a pris de mettre ça sur la liste ?! Demandé-je faussement révoltée.
Je me laisse lourdement tomber sur le banc près de lui. Il paraît dépassé mais cela ne freine aucunement mon élan de fausse victime.
- Le problème, c'est que c'est moi qui ai instauré ce jeu et toutes mes amies s'y sont pliées. De plus, elles ont nos billets d'avion pour la lune de miel. Et elles sont assez connes pour les garder en otage jusqu'à ce que j'honore ma part du deal.
Il ne dit rien et regarde autour de lui en cherchant sûrement ma sœur.
- Qu'est-ce que je dois faire selon toi ?
- Franchement, je n'en ai aucune idée.
- Tu dois vraiment me prendre pour une dégivrée.
- Même pas.
- Du coup, tu vas m'aider?
- Comme je te l'ai dit, j'attends ma petite amie.
Je ne m'attendais pas à autant de résistance, honnêtement. Finalement, c'est peut-être un mec bien. En tout cas, il semble tenir à elle. Ou alors il veut juste éviter de se faire prendre.
- Je ne vois personne pour le moment. Disons que plus vite tu m'aideras, plus vite je te laisserai tranquille. Please. Pretty please ? dis-je en joignant les mains.
- J'aimerais bien aider mais je ne peux pas, désolé. Il y a d'autres hommes ici, je suis sûr qu'une jolie femme comme toi, n'aura aucun problème à se faire embrasser gratuitement.
Bon. Aux grands maux, les grands remèdes.
- Je comprends. Je suis désolée aussi.
Je me penche subitement vers lui, prends son visage entre mes mains et colle mes lèvres sur les siennes.
Il lui a fallu deux secondes pour réaliser et me repousser. Il paraît outré le pauvre. C'est pas tous les jours qu'on se fait harceler de la sorte. Si c'était la situation inverse, je serais déjà au commissariat criant au viol. Mais la fin justifie les moyens.
- Désolée, vraiment. Je peux même te dédommager si tu veux. Mais il fallait que je le fasse.
- Non merci. Partez s'il vous plaît avant de me créer plus de problèmes.
Mdrrr, il a même commencé à me vouvoyer.
- Ok, je file.
Je l'entends murmurer que je suis malade et m'éloigne en souriant.
J'avoue que c'était risqué et irréfléchi comme stratégie. Cependant, qui ne tente rien n'a rien. J'ai envie d'en finir une bonne fois pour toutes avec la crise de Jamila. Comme la patience est une vertu qui m'est inconnue, les séparer est le moyen le plus rapide et le plus radical que j'ai trouvé pour recentrer Jams.
J'avais d'abord pensé à me jeter sur Yohan dès que je le verrai, l'embrasser et me casser. Sauf que je voulais une photo qui paraîtrait un tant soit peu naturelle. Pas une où ma victime aurait l'air de se faire agresser.
J'ai aussi songé à embaucher un photographe pro. Sauf que cela me paraissait bien trop dramatique.
Il y avait aussi l'éventualité où Yohan goberait mon histoire accepterait de se prêter à mon jeu. Et dans ce cas, un simple selfie aurait fait l'affaire.
Puis, j'ai vu cet homme posé sur le banc et une toute nouvelle idée a germé dans mon esprit. C'est sur un coup de tête que je lui ai proposé de l'argent en échange de ce service. Tout le monde aime l'argent facile.
J'ai eu une chance insolente sur ce coup. Ou peut-être est ce l'œuvre du destin, toutes ces pièces qui se sont assemblées si facilement... L'univers lui même contribue à ramener ma sœur dans le droit chemin. Encore faudrait-il que les photos soient acceptables.
J'avoue aussi que j'ai des remords ; je ne suis pas un monstre non plus. Ce pauvre Yohan qui n'a rien demandé et qui va payer les pots cassés. En fin de compte, il m'a semblé assez décent. Ce n'est peut-être pas lui le problème finalement. Mais bien Jamila. Jamila, crise d'adolescence, épisode 37412.
Enfin. Le mal est fait. Un mal pour un bien. Du moins, je l'espère.
Je me dirige vers ma voiture garée un peu plus loin. J'y retrouve mon photographe adossé nonchalamment à la portière. C'est qu'il prend ses aises, dis donc.
- Alors ?
- J'ai pris plein de photos. Je ne voulais pas prendre de risque.
Je jette un coup d'œil et elles sont parfaites. Je sélectionne une sur laquelle on a l'air de discuter profondément. Et une pile poil au moment où je l'embrasse. En fait, il a fait des rafales. Ce qui fait qu'il doit y avoir des centaines de photos. Je lui demande de m'envoyer les photos sélectionnées par AirDrop. Et m'assure qu'il les supprime toutes avant de saisir ma pochette.
- Juste par curiosité, ta mère est vraiment malade ou c'est un truc que t'as inventé pour pas que je te juge ? Tu peux me dire la vérité. Je ne suis en position de juger personne.
- Je n'ai pas menti. Ma mère est vraiment souffrante.
- Qu'est-ce qu'elle a ?
- Une infection pulmonaire. Elle est hospitalisée. Mon boulot me permet à peine de joindre les deux bouts. Alors ces antibiotiques à n'en plus finir n'en parlons pas.
Moi même je ne comprends pas pourquoi je fais la conversation à ce parfait inconnu.
- Je vois. Et tu travailles dans quoi ?
- À la base, j'ai un diplôme en informatique. Mais dans ce pays quand on a pas le bras long...
Il secoue la tête.
- Je suis vigile dans une entreprise, temporairement.
Je ne sais pas pourquoi son histoire me touche. C'est quand même dommage que des gens pleins de compétences soient réduits à des boulots de fortunes par manque d'opportunités. Et pourtant, ce n'est pas la demande qui manque.
Je lui remets ses 30000f et monte dans ma voiture.
Il me remercie et me tourne le dos.
- Attends.
Je sens que je vais le regretter mais tant pis. Ce sera ma bonne action de la journée. Après la petasserie.
- Appelle sur ce numéro demain matin. Il va t'aider à trouver un boulot plus décent.
Il écarquille les yeux. Avant qu'il se remette des ses émotions, j'ai déjà démarré ma voiture.
En chemin, j'appelle Taha. Il raccroche et m'envoie un message pour me faire savoir qu'il ne pouvait pas décrocher mais me rappellerait dès que possible. Tant pis.
Dès que j'arrive à la maison, je me dirige directement dans la chambre de Jamila. Elle répond à peine à mon salut mais je n'en fais pas cas. De toute façon, je ne suis pas là pour des civilités.
- Je suis là pour te montrer ça.
Je lui tends mon téléphone. Elle le prend avec la lenteur d'un caméléon.
- Voici ton homme parfait à cause duquel tu as osé voler ta propre sœur. Un homme qui ne résiste pas à la première fille qui se jette sur lui.
- Tu mens !
Elle jette le téléphone par terre et j'ai juste envie de lui casser la gueule.
Je le ramasse et constate l'écran est fissuré. J'espère pour elle que cette fissure se limite à l'écran de protection.
- Tu n'es qu'une menteuse.
- Je vais mettre ça sur le compte de la douleur et laisser passer, Jamila. Mais tu me parles encore comme ça et wallahi tu vas me sentir.
- Yohan et moi on s'aime. Jamais il ne ferait une chose pareille. Tu es juste jalouse parce que personne te t'aime.
- Je n'ai clairement pas inventé cette photo. Et je n'ai pas le temps de faire des montages. Ouvre tes yeux bordel. Tout le monde est amoureux au collège. Et 99% du temps, cela n'aboutit à rien. On verse des seaux de larmes puis on retombe encore amoureux. Je suis désolée de t'annoncer que tu ne fais pas partie des chanceux 1%.
Sans crier gare, elle se jette sur moi en criant. Je suis tellement surprise que je ne réagis pas. Jusqu'à ce qu'elle m'arrache une mèche.
Oh la salope. Elle n'a pas osé.
Tout le monde sait que je suis la bagarreuse de la famille. Khekho khekh fekké na, thioki o thioki tass na ko. J'ai le sang chaud.
Je lui colle une gifle si violente qu'elle tombe sur son lit.
- Mais qu'est-ce qui se passe ici bon Dieu ?
Aissata et Mounina font irruption dans la chambre. Je ne les calcule même pas et empoigne Jamila par le col.
- La prochaine fois que tu lèves la main sur moi, tu le regretteras amèrement. Tu m'as bien comprise ? Dis-je entre mes dents.
- Madina mais qu'est-ce que tu fais ? Lâche-la ! crie Mounina.
- Vous allez nous expliquer ce qui se passe à la fin ? S'énerve Aissata.
Je lui tends mon téléphone. Elle jette un coup d'œil et me demande ce que c'est.
- C'est l'amoureux de ta sœur.
- Comment ça se fait que...
- Que j'ai les lèvres collées aux siennes ? Je voulais ouvrir les yeux à ta stupide sœur. C'est pas parce qu'on aime un garçon qu'on devient une voleuse pour ses beaux yeux. Les seules personnes sur lesquelles tu peux compter sont dans cette chambre petite idiote.
- Tu as embrassé mon mec ! Dit Jamila en pleurant.
- Grandis un peu. Ce n'est pas ça le sujet. Tu t'es complètement dénaturée. Nous ne te reconnaissons plus. Je crois que je parle au nom de toutes les trois quand je dis que tu as baissé dans notre estime. Tu es bête et très naïve si tu crois une seconde qu'un amour de lycée en vaut la peine. Ça, c'est ta chance d'ouvrir les yeux et de te ressaisir.
Je sors en claquant la porte et m'enferme dans ma chambre. Adossée à la porte close, je respire profondément. Je ne suis pas fière de moi. Je viens de mentir à mes sœurs. Et de briser le cœur de Jamila.
Dans ce cas ci, la fin justifie les moyens. Si on laisse Jamila livrée à elle-même, elle va finir par s'autodétruire. Elle est déjà pourrie gâtée. Mais à mon avis, elle est encore irrécupérable. Traîner avec ce Yohan, ce n'est pas ce qu'il lui faut. Il a clairement une mauvaise influence. Autant ne pas noircir cette toile déjà altérée.
Ma main se porte à ma tête, là où la mèche a été arrachée et je sens un vide. Noooon ! Kii leel lo na ma diih ! (Elle m'a foutu une plaque de calvitie)
Je me dirige vers le miroir de la coiffeuse et manque de m'étouffer. Un désastre. Bon okay, j'exagère, c'est camouflable. Mais j'ai presque envie de pleurer à la vue de ce trou. Combien de temps ça va me prendre pour repousser. Cheuteuteuteuuuut. Ma belle ligne de cheveux.. Je suis dégoûtée putain.
Le Karma, me dira-t-on. Il n'a décidément pas perdu de temps sur ce coup.
Dépitée, je rentre dans ma salle de bain pour prendre une douche rapide. À ma sortie, je me plante à nouveau devant le miroir pendant de longues minutes. Comme si cela allait magiquement faire repousser ma touffe de cheveux.
Consciente de ne rien pouvoir faire d'autre que ruminer, je m'allonge sur mon lit en serviette. Ça a intérêt à marcher. Je ne m'imagine même pas avoir fait tout ce cinéma pour qu'elle reste avec lui malgré tout. Non. Je refuse de perdre mes cheveux en vain. Jamila va revenir sur le droit chemin.
J'ai été comme elle. Rebelle. Croyant que le monde devait se plier à mes exigences. J'étais pire qu'elle à vrai dire. Presque incontrôlable. Perdre mes parents, mes repères, cela a été infernal. J'étais livrée à moi même alors que je devais affronter la puberté en même temps.
Aissata n'avait pas le temps avec l'entreprise, et Mounina était plus concentrée sur Jamila que sur moi.
Je sais ce que c'est que d'être sur une mauvaise pente. Ce que c'est que de toucher le fond. J'aurais aimé que quelqu'un me mette une claque et me remette sur une ligne droite. Mes méthodes ne sont certes pas orthodoxes, mais la fin justifie parfois les moyens.
On toque à ma porte, interrompant ce flux de pensées. Mounina me fait savoir qu'on m'attend en bas pour une réunion de famille. Super.
Je m'habille en rouspétant et traîne les pieds jusqu'au salon. Mes sœurs sont déjà installées à la table à manger. Je fais de même.
- Il y a trop de choses qui ne vont pas dans cette famille, commence Aissata. Et ça s'arrête ce soir. On fait cartes sur table. Que chacune dise ce qu'elle a sur le cœur.
Aissata croise les bras sur sa poitrine tandis qu'un long silence s'installe.
- Personne ne bouge de cette table tant que tous les malentendus ne seront pas réglés. S'il faut qu'on y passe la nuit, et bien, soit.
Elle s'adosse à sa chaise, semblant se mettre à l'aise.
- Ok. Je commence. Je te présente mes excuses, dis-je en m'adressant à Jamila. Je n'aurais pas dû embrasser ton petit ami. Crois moi, cela ne m'a pas plu une seule seconde. C'était tout simplement dégueulasse. Mais tu ne voulais rien entendre. Il fallait que je te fasse voir. Et c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour te secouer. Pas l'idée du siècle, je te l'accorde volontiers. Seulement, je n'en pouvais plus de te voir t'enfoncer dans un cercle de bêtise. Nous aussi on a eu 17ans. Nous aussi, on a été amoureuses. Follement. Et pourtant regarde nous. Aucune de nous n'est encore mariée. Des hommes sont passés dans nos vies. Des hommes avec qui on se voyait déjà finir nos jours. Des hommes dont on aurait juré que c'étaient THE men. Tu vas me dire que c'est différent, que votre lien est spécial. C'est aussi ce qu'on se disait. Qu'on se dit d'ailleurs toujours à chaque nouvelle relation. Mais s'il y a une chose que la vie nous a appris, c'est que aduna goud na tank looolou sakh. T lou la teey meyoul, kheur dou la ko mey. (La vie est pleine de surprises. Et l'excès ne te mènera pas plus loin que le calme)
Je vois Aissata et Mounina acquiescer du coin de l'œil. De mon côté, je garde le regard toujours fixé sur Jamila.
- Je t'aime, Jamila. Tu es ma petite sœur. Si je te vois sur un chemin tortilleux et que je ne peux pas redresser ce chemin, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te faire changer de direction. Il arrivera un moment où, tout ce qu'on fera, c'est te conseiller et respecter tes décisions. Mais ce moment n'est pas encore arrivé. Je sais que ça te saoule d'entendre que tu es encore jeune. Néanmoins, c'est ça la réalité. Avec le temps, l'expérience viendra. Mais pour le moment, c'est dans ton intérêt de suivre les conseils de personnes bienveillantes que nous sommes. Je n'ai rien contre ton mec. Sinon qu'il te pervertit. Si pour lui ou à cause de lui tu fais ce genre de choses, c'est à sa personne que j'associe ton comportement. C'est aussi simple que ça.
Elle ouvre la bouche pour le défendre, certainement.
- Non, laisse moi finir. Tu vas me dire que tu l'aimes. Eh bien les gens ont aimé avant toi et aimeront après toi. Tu as toujours été capricieuse, insolente même . Mais voler ? Non, c'est la goutte de trop. Ça commence comme ça. Un "petit vol". Puis ça va de mal en pis. Dans ta tête, cela te revient de droit. Sauf que tu n'as droit à rien du tout. Tu ne possèdes rien. Tu n'es rien. Je ne le dis pas pour être méchante. Car cela s'applique à moi aussi. Ce ne sont que de simples faits, la dure réalité. Si aujourd'hui tu as encore un toit sur ta tête, et de l'argent à dilapider c'est parce que Aissata a sacrifié sa vie pour que l'on survive. Une fortune ne perdure pas si on ne la fructifie pas. Et c'est ce qu'elle fait depuis. Tu as un bon fond mais tu es pourrie gâtée, tu crois que tout est dû. Reviens sur terre.
On l'a trop caressée dans le sens du poil cette petite. Il est temps qu'on la traite comme l'adulte qu'elle se réclame être. Ça passe par entendre les durs mots de la vérité.
- Tu veux laisser ton empreinte dans le monde ? Ou alors être celle dont on se remémore parce qu'elle postait des photos "todj" sur Instagram ? Ce n'est pas ça la vie. Grandis, Jamila. Fais toi par toi même. On a la chance d'avoir un bon départ dans la vie. Ne laisse pas cette opportunité se transformer en ta destruction. Si on perdait notre argent aujourd'hui, ce qui resterait c'est notre dignité, nos valeurs. Qui es-tu Jamila Ba en dehors de ton portefeuille ? Qui es-tu quand tu n'es pas sous le flash d'un appareil photo ? Qui es-tu Jamila ? Le sais-tu toi-même ? Tu ne pries même pas. Tu ne vis que pour paraître. Moi j'ai peur pour toi. Je ne suis pas un modèle. Mais il y a un minimum dans la vie. Ça me fend le cœur de te voir aussi superficielle. Reprends toi, par pitié. Je t'aime. Nous t'aimons toutes. Encore une fois, je ne dis pas tout ça pour être méchante. Tout ce que je veux, c'est que tu sois meilleure que moi. Que tu puisses te regarder tous les jours en étant fière de toi.
Ces derniers mots, je les dis en hoquetant.
En fait, on pleure toutes les quatre.
Mounina prend ma main et celle de Jamila qui est à sa gauche. Aissata fait pareil. Nous nous tenons ainsi, formant ce cercle presque sacré.
- Je suis désolée, sanglote Jamila. Je suis désolée.
- Nous aussi nous sommes désolées, intervient Mounina. Est-ce qu'il y a une raison pour que tu te comportes ainsi ? Tu peux nous parler tu sais.
- Je l'aime.
- Oh, ma chérie.
Mounina la prend dans ses bras et la réconforte.
- Je sais ce que c'est d'aimer, commente-t-elle. On le sait toutes, crois moi. Mais l'amour doit te rendre meilleure et non le contraire. Et puisqu'on en parle, je sais que tu n'approuves pas ma relation avec Ibrahima. Si je pouvais, je ne m'immiscerais pas dans le ménage d'autrui. Il se trouve que cet homme est mieux que l'homme dont j'ai toujours rêvé. C'est mon âme sœur. Je te jure que je ne veux pas pour semer la zizanie. Je veux juste partager sa vie. Tu comprends ?
Jamila ne dit rien.
- Je suis désolée de te mettre dans cette position délicate avec ton amie. Donne nous une chance. S'il te plaît.
S'il y a une chose que j'aime dans notre maison, c'est le fait qu'on se parle. Il n'y a pas de droit d'aînesse mal placé ni de "c'est toi la plus jeune, va demander pardon". J'ai toujours trouvé cela débile. Chaque fois que je regarde une série locale et qu'il y a une de ces scènes, j'ai envie de me tirer une balle dans la tête. Quand on a tort, on a tort. Peu importe son âge, sa position sociale.
- Bon, j'ai vraiment envie de continuer ce moment d'amour et de sincérité, mais honnêtement je tombe de sommeil, dit Aissata. Wrap it up waay please. (Terminons en vite s'il vous plaît)
Cela détend l'atmosphère un peu.
- Mais ? C'est pas toi qui disait on va y passer la nuit kinkin.
- Dama done saupe rk moh (je faisais genre ). En tout cas, je crois que tout a été dit. Jamila, tu sais déjà ce que je pense. Inutile de revenir la dessus. Je comprends aussi pourquoi Madina a agi comme elle l'a fait. Ça ne l'excuse pas, mais je comprends. Est-ce que tu acceptes ses excuses ?
- Je ...
Elle se racle la gorge.
- C'est moi qui vous dois des excuses. À toutes les trois. Jamais je n'aurais dû voler ta carte. Vous ne m'avez jamais rien refusé et c'était ingrat de ma part. Pour Yohan, ça me fout carrément la rage. Mais un homme qui embrasse ma sœur, je mérite mieux. Et Mounina... ma petite maman.
- Mon bébé...
- Tout ce que je veux, c'est ton bonheur. Je ne dis pas que je vais l'aimer du jour au lendemain mais je vais lui laisser sa chance.
- Merci, c'est tout ce que je te demande.
- Great. Câlin de famille, conclut Aissata.
On se prend dans les bras par dessus la table. Et ça fait chaud au cœur. Très.
- I love you guys, murmure Aissata.
On lui répond que nous aussi.
- Ok, c'est bon maintenant, je vais me coucher.
- Yow dh lii nga am sa lale bi tey wokho ko nitt yii (mais qu'est-ce qui t'attend sur ton lit ce soir?). Mr Dème t'as promis un strip tease ou quoi ? Taquine Mounina.
- Je vais te tuer.
Mouna s'enfuit en courant suivie de près par Aissata. Jamila et moi on reste maladroitement debout. Puis je lui tends la main et on monte ensemble sans un mot.
Devant ma chambre, je m'arrête et elle aussi.
- Ça va ? On est ok ?
- Oui.
- Cool. Bonne nuit, thiate.
- Bonne nuit.
Je tourne la poignée.
- Attends, Madina. Désolée pour tes cheveux.
J'y porte automatiquement la main en grimaçant. Et dire que j'avais réussi à passer plusieurs minutes d'affilée sans y penser.
- Je vais attendre que tu dormes pour te couper les cheveux et me les coller.
- Merci de me prévenir, je vais fermer la porte à double tour.
- Ce qui est sûr, c'est que vous allez en entendre parler encore longtemps.
- Je sais.
Elle me fait une bise sur la joue avant de se diriger vers sa chambre.
- Hey ! Ça va ? Yohan je veux dire. Tu sais ce que tu vas lui dire ?
Son expression se peint de tristesse.
- Lui et moi n'avons plus rien à nous dire.
Je la regarde s'éloigner le cœur lourd. Je sais qu'elle va passer une nuit blanche ce soir. Qu'elle va passer par toutes les émotions possibles. Se demander pourquoi elle ? Pourquoi lui ? Alors qu'en réalité JE suis seule et unique responsable de cette situation.
Un mal pour un bien, right ? Ce qui est sûr c'est que Jamila ne me pardonnera jamais si elle apprend la vérité. Jamais.
Les larmes me montent aux yeux. Je me sens mal, nauséeuse, dégoûtée par mes actions. Dire que ces réconciliations sont basées sur un mensonge...
- Hey.
Je sursaute en entendant la voix de Mounina.
- Tout va bien ? T'as l'air bizarre.
Je l'entraîne dans ma chambre et referme la porte derrière nous.
- J'ai menti.
- À propos de quoi ?
- On ne s'est pas embrassé Yohan et moi. C'était une mise en scène. J'ai payé quelqu'un pour nous prendre en photo et je l'ai embrassé de force.
- Tu... Tu plaisantes, j'espère ?
Elle me regarde, les yeux exorbités. Je secoue la tête.
- Tout ce qu'on vient de faire à quoi ça servait ? Cartes sur table, mon œil ! Mais Madina tu as perdu la tête ou quoi ?
- Mais parle doucement.
- Je parle comme je veux. Parce que tu crois que je vais garder un truc pareil ? Tu es folle ma parole.
- J'ai fait ce que je devais faire pour la ramener à de meilleurs sentiments. Tu ne vas pas lui raconter et tout faire foirer.
- C'est exactement ce que je vais faire.
Elle me contourne et ouvre la porte.
Quand je pense qu'on avait retrouvé un semblant d'harmonie dans la maison. Jamila a admis ses torts. Nous nous sommes toutes retrouvées. On a trouvé un terrain d'entente. Ça a duré quoi cinq minutes?
Et là, tout va être réduit à néant. Pire, Jams va me haïr. Si elle a été capable de voler pour lui, je ne donne pas cher de ma peau.
- Mouna non !

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