S1 - Souvenirs

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Mon ami imaginaire

Il y avait un monstre dans mon placard quand j'étais petite. J'ignore encore ce qu'il faisait là. Vous pouvez penser que c'est faux et que je l'ai inventé, mais moi, je m'en souviens.

Un placard, pour un enfant, est souvent source d'angoisse. C'est un espace sombre et mystérieux. Pour peu qu'on l'ait mal rangé ou qu'il y ait un courant d'air, il peut grincer, s'ouvrir de lui-même. Le mien n'échappait pas à cette règle.

Il était encastré dans le mur en face de mon lit et devait mesurer environ quatre mètres de large sur deux de haut. Il possédait deux paires de portes blanches à chaque extrémité de la pièce et accueillait en son centre une vaste penderie. Cette dernière offrait, selon moi, assez de place pour abriter un monstre de taille adulte peu regardant sur ses conditions de logement.

Cette idée me terrifiait tellement que je dormais la tête sous l'oreiller, lui-même recouvert de ma couverture. Il n'était pas rare que je transpire à grosses gouttes, au point d'en avoir les cheveux mouillés en plein hiver, mais c'était le prix de mon salut.

Vous pouvez encore vous interroger. « Elle pense qu'il existe, mais elle ne l'a jamais croisé, ce monstre. Pas de quoi en faire une histoire ! » Et pourtant...

C'était un matin comme les autres. Les bruits dans le couloir m'avaient réveillée. Mes sœurs se bagarraient déjà pour la salle de bain. Je devais me préparer pour l'école. Néanmoins, sortir de ma chambre n'était jamais une mince affaire.

Les volets maintenaient la pièce dans l'obscurité, il fallait donc prendre certaines précautions. Voyez-vous, mon monstre guettait le moment où je serais à découvert pour m'attraper. Persuadée qu'il craignait l'éclat de la lampe comme je le craignais lui, je glissais la main hors de ma forteresse duveteuse pour atteindre l'interrupteur de mon plafonnier, à droite du lit.

Toute mon expertise en tâtonnement mural n'y fit rien, l'ampoule ne s'illumina pas quand j'appuyais enfin sur le bouton. Mon bras étant vulnérable hors de son cocon, je le rangeais aussitôt sous la couette. Prise de sueurs froides, je me décidais à traverser les deux enjambées qui me séparaient de la porte, sans lumière.

J'entendis mon placard s'ouvrir violemment alors que je soulevais ma couette pour me jeter sur la sortie. Quand je posais les pieds au sol, une main saisit fermement l'une de mes chevilles.

Je posais les yeux sur mon terrible colocataire. Son corps, d'un blanc laiteux, le rendait visible même dans le noir. Il rampait sur mon carrelage, nu et effrayant.

Révulsée, je secouais ma jambe, l'obligeant à lâcher prise et tirais bruyamment sur la poignée pour atterrir dans le couloir. Le cœur battant, je claquais la porte derrière moi.

Puis, plus rien. Comme si mon monstre m'avait jeté un sort de confusion, je descendis calmement les escaliers. Rien n'importait plus que le bol de céréales qui m'attendait sur la table de la cuisine. Sans doute m'étais-je sentie en sécurité, une fois sortie de l'univers que nous partagions, lui et moi.

Je n'ai jamais pu oublier cet épisode, j'ai même la chair de poule en y repensant. Si vous me parlez de mon monstre, j'aurais d'autres souvenirs à partager. Celui-ci est le plus mémorable, car il s'agit, après tout, de l'histoire de notre première rencontre.

Mon défi BradburyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant