Métamorphoses

Chapitre 23 : Maud

Chloé me prend vraiment pour une imbécile ! Comment peut-elle croire sérieusement que je suis dupe des excuses bidons qu'elle me sert depuis des semaines pour m'éviter et se rapprocher de Chris, alors qu'elle sait très bien que j'ai un faible pour lui depuis la 6e ? Elle trouve systématiquement un moyen pour ne pas faire ses devoirs avec moi, se mettre avec d'autres élèves pour les travaux de groupe ; elle cache comme par accident sa copie pendant les contrôles et ne me permet plus de recopier ses exercices et ses devoirs maisons.

Ma moyenne est en chute libre et mes parents me harcèlent pour m'inscrire à des cours de soutien les samedis. Leur dernière trouvaille est un stage de remise à niveau d'une semaine pendant les vacances de Pâques ! Juste pendant la Fashion Week de New York, à laquelle ma mère assiste tous les ans avec nous. Mais bien sûr, elle ira avec Jade, la Huitième Merveille du Monde, aux yeux de mes parents, parce que c'est une artiste, comme eux. Et peu importe qu'elle soit nulle comme une... huître, en classe !

Évidemment, quand on est la fille d'un producteur télé et d'une célèbre influenceuse mode, on attend de vous un minimum de créativité et de goût, ce qui n'est paraît-il pas mon cas. Alors au moins, j'étais l'intellectuelle de la famille, celle qui pourrait un jour reprendre la boîte de prod de mon père. Sauf que sans l'aide de Chloé, j'ai décroché !

Je pourrais dire que ma meilleure et plus vieille amie me manque, bla, bla, bla, mais ce que je ressens envers elle ressemble beaucoup plus à de la haine qu'à du chagrin. En fait, je suis hyper en colère, et seule une vengeance retentissante me permettra d'en sortir la tête haute. Je contemple cette idée depuis des jours et j'ai enfin mis au point une revanche à la hauteur de l'offense qu'elle m'a faite. Mon plan est d'une simplicité et d'une efficacité éblouissante et ne nécessite aucune aide de quelqu'un qui pourrait me lâcher, en dehors de Vicky, mais jamais elle n'oserait me contrarier et elle sera trop contente de devenir ma best. Alors adieu collège puis lycée prestigieux pour Chloé, adieu relations sociales avantageuses, adieu réputation sans tache et adieu Chris ! J'ai un mal fou à ne pas ricaner de joie anticipée chaque fois que cette traîtresse croise mon chemin et me sert un nouveau mensonge...

M'introduire dans la chambre de Sandrine, notre surveillante d'étage, n'a présenté aucune difficulté étant donné qu'elle venait de se ruer dans la salle de bain commune au secours de Vicky qui simulait avec beaucoup de conviction un malaise vagal. Je peux dire qu'elle n'aura pas volé la trousse de maquillage Dior que je lui ai promis ! Elle est restée au moins 10 mn étalée sur le carrelage froid, à pousser des soupirs à fendre l'âme, ce qui m'a laissé largement le temps de prendre le portefeuille de Sandrine dans son sac à main (bêtement posé à côté de sa table de nuit) puis de revenir jouer les secouristes en mettant cette pauvre Vick en position latérale de sécurité. Je n'ai eu qu'à lui glisser discrètement l'objet lorsque nous l'avons enfin escortée jusqu'à son lit, pour qu'elle le cache dans le tiroir à sous-vêtements de Chloé quand celle-ci quitterait leur chambre pour aller déjeuner.

Lorsque le CPE a mené l'enquête, quelques heures plus tard, j'ai prétendu être super réticente à dénoncer ma meilleure amie, mais je ne me sentais pas capable de dissimuler que j'avais aperçu Chloé se glisser dans la chambre de Sandrine pendant le malaise de Vicky. Bien-sûr, ai-je insisté, la main sur le cœur, ça ne veut rien dire ; mais lorsque celle-ci a accepté de laisser fouiller sa partie de la chambre, force a été de constater que le portefeuille était dans son tiroir, enseveli sous les petites culottes, et allégé de 50 €... Chloé a nié avec véhémence puis désespoir, elle a pleuré, s'est pathétiquement tordu les mains, mais ses parents sont venus la chercher en attendant le conseil de discipline.

Je l'ai beaucoup soutenue, enfin j'ai essayé, parce qu'elle m'a quand même pas mal tenue à l'écart au profit de ses nouveaux amis, mais peu importe, elle est partie. Et pas près de revenir.

Le meilleur moment ? ça été quand ses parents l'ont obligée à s'excuser publiquement et à rembourser les 50 € à Sandrine... En partant, elle s'est retournée et m'a regardée dans les yeux et on s'est parfaitement comprises, toutes les deux. C'est ça qui est merveilleux, avec les veilles amies : on n'a plus besoin de se parler pour savoir ce que l'autre a dans la tête !