Métamorphoses

Chapitre 26 : Vicky

J'ai passé mon après-midi dans le bureau du CPE puis du Principal à raconter mon histoire, en tâchant d'avoir l'air le moins complice possible. J'ai fini en larmes, terrassée par un sentiment de culpabilité dont j'ai été la première surprise et par la réalisation des longs mois où j'ai été manipulée par Maud pour persécuter d'autres élèves. Cette crise de conscience m'a finalement bien servie puisque je n'ai quasiment pas été punie et que tout le blâme a été rejeté sur Maud, en tant qu'instigatrice.

Lorsque nous avons été confrontées, j'avais tellement peur que je me suis mise à trembler et à ne plus pouvoir respirer. Une crise de panique, a déclaré l'infirmière du collège, qui m'a prise en charge et a lourdement insisté pour me renvoyer chez moi, en week-end anticipé. Il m'a fallu beaucoup de persuasion pour les rassurer, elle et ma mère, et obtenir de rester. Cette fois, c'est la peur de manquer ma soirée avec Théo qui m'angoissait.

De toute façon je savais déjà que Maud serait renvoyée chez elle et exclue à « titre conservatoire » dès ce soir, comme Chloé l'avait été. Celle-ci va probablement revenir lundi et un conseil de discipline en remplacera un autre... Malgré tout, je suis presque désolée pour Maud qui va avoir du mal à gérer la situation et qui, je le sais, est déjà persuadée que ses parents lui préfèrent Jade. Cette dernière s'en sort bien d'ailleurs, à croire qu'elle n'a jamais participé aux manigances de sa sœur ! Elle est toujours légèrement en retrait, laissant sa jumelle prendre les coups, mais je ne crois pas qu'elle soit plus gentille pour autant. Est-elle plus, ou moins coupable que moi ? Je ne sais pas. Plus maligne, en tout cas.

Ce n'est rien de dire que la nouvelle crée des remous au collège. Maud se situait tout au sommet de la chaîne alimentaire et son départ, lié à un tel scandale, a provoqué une onde de choc et de soulagement mêlés. Jade fait profil bas et personne ne lui adresse plus la parole en dehors de Noa, qui a toujours eu un faible pour elle. Tim aussi, peut-être, même s'il semble avoir pris ses distances depuis le départ de Chloé, dont il soupçonnait Maud d'être responsable. Je crois qu'il a senti le vent tourner et qu'il ne se sent pas de taille pour affronter Chris et ses amis. Ça va être étrange, un collège sans manigance ! 

Le vendredi soir, j'ai raconté à ma mère que je passerais la soirée avec Jade, pour la réconforter, certaine qu'elle n'appellerait pas ses parents pour vérifier. C'est donc en stress, mais l'esprit tranquille de ce côté-là que je rejoins Théo devant la pizzeria locale, « Chez Luigi ». Comme d'habitude, il est décontracté mais classe, et beau à se damner avec sa peau caramel et ses yeux vert lagon. J'avais peur de me sentir trop mal à l'aise pour dire deux mots sans bafouiller, mais Théo enchaîne les sujets neutres mais sympas avec aisance. À la fin du repas, il connaît tout de mes goûts musicaux, de ma passion pour la danse, de mes vidéos sur Tik Tok qu'il affirme trouver géniales, de mes frères et sœurs plus jeunes et on rigole bien en évoquant nos professeurs et en imitant la prof de français qui se cogne sans cesse contre l'armoire de sa salle et nous remonte les bretelles avec des qualificatifs aussi créatifs que farfelus.

Lorsque nous partons pour le concert, je réalise que je n'ai presque rien appris sur lui. Je me décide tout de même à lui poser une question qui me turlupine depuis un moment, sans que je sache bien pourquoi.

– « C'est quoi, au juste, vos relations avec Chris ? »

Comme il lève un sourcil surpris, j'essaie de préciser ma pensée, sans y parvenir tout à fait.

– « Je ne sais pas... Il a l'air d'être votre chef, comme si c'était lui qui décidait de tout, mais... je n'ai pas l'impression qu'il vous manipule, comme Maud le faisait avec nous. »

– « C'est juste que c'est un bon leader, alors on l'écoute. Comme quand il propose une stratégie à l'équipe de hockey... Et puis on se connaît depuis l'enfance, alors on est soudé, un peu comme une famille. »

– « Vous n'avez jamais envie de faire bande à part ? »

– « Pourquoi faire, puisqu'on s'entend bien ? Et puis tu as vu, ça ne nous empêche pas de nous faire de nouveaux amis et de les intégrer à la bande...»

Il me prend par la main et fend la foule pour m'entraîner vers le tout devant de la scène, ce qui me fait perdre le fil de mes pensées. Ma main dans la sienne... J'en ai tellement rêvé...

Entraînée par la musique, la danse, la foule, la chaleur et la présence de Théo contre moi, j'oublie tout, heureuse comme je ne l'ai plus été depuis des mois. À la fin du concert, un peu étourdie, je me tourne vers lui et lui passe les bras autour du cou en le regardant droit dans les yeux avec un air de chiot énamouré. Il me renvoie son plus beau sourire et retire délicatement le cercle de mes bras tout en reculant légèrement. Je cligne des yeux très vite pour tenter de chasser les larmes qui montent et débordent déjà. Théo essuie ma joue d'un doigt délicat et me glisse à l'oreille :

– « Désolé, Vick, entre nous ce n'est pas possible. »

Il me raccompagne chez moi, jusqu'à ma porte, très gentleman, et dépose sur ma joue un chaste baiser qui me fait rougir et me brise le cœur en même temps.