Chapitre 3

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Maxima termine sa communication et me rejoint, tout ouïe.

— L'infection aurait pu le tuer, selon vous ?

— C'est très possible. Des lésions sont visibles dans les zones du cerveau en contact direct avec le SEN. Il semble qu'il y ait eu une surchauffe.

— Les maintenances sont censées remédier à tout problème de ce genre, non ?

— Oui, mais le SEN a dû augmenter sa température dans un laps de temps très court. L'homme n'aurait pu eu le temps d'aller à l'hôpital ou de faire contrôler son système pour trouver le dysfonctionnement. Et nous sommes d'accord pour dire que le virus n'a pas détruit son SEN, il continuait de fonctionner normalement.

— Il ne s'en serait pas rendu compte ?

— C'est probable. Il a pu être infecté il y a deux semaines, pour ce que nous en savons. Mais la surchauffe est survenue hier.

Le virus a donc agi seulement plusieurs jours après l'infection, et durant ce laps de temps, le SEN ne l'a pas détecté...

— Et pourquoi cette surchauffe ? lâché-je dans l'espoir que le médecin ait une hypothèse.

— Un souci dans la conception du virus ?

J'ignore pourquoi, mais je n'y crois pas. Un soupir m'échappe.

— Bon, je vais tenter d'établir une carte d'identité de ce nouveau venu. Au moins, nous pourrons le reconnaître à sa prochaine apparition.

— Ses seuls effets sont, pour l'instant, un vol de données. Nous avons constaté l'infection chez quatre autres personnes, des employés pour la plupart, tous des humains. Lorsque nous avons cherché le virus dans leurs SEN, nous n'avons rien trouvé, comme s'il s'était autodétruit.

— Les SEN auraient-ils pu s'en débarrasser eux-mêmes ?

— Oui, mais ici, les systèmes n'avaient aucune trace d'intrusion dans leurs mémoires. Nous ne constatons que la fuite de données.

— Le virus n'est donc pas repéré...

Décidément, ce hacker est un pur génie. Comment a-t-il réussi à percer les défenses des SEN et à passer inaperçu face à la batterie de systèmes de protection érigés autour de ces super-ordinateurs mentaux ?

Mes doigts glissent sur l'écran, alors que je fais défiler l'entièreté des hologrammes. Puis, je plonge la main dans mon sac et en sors un petit rectangle métallique, que je pose sur l'écran ; aussitôt, mon petit bijou technologique se met à traquer et répertorier les traces laissées par le virus dans ce qui semble être son seul échec constaté à ce jour. Peut-être que je pourrai réellement détecter ses intrusions, grâce à ce simple petit objet. Si le virus n'a pas eu le temps de disparaître sans rien laisser derrière lui qu'une fuite de données, je devrais être à même de trouver suffisamment d'indices pour le reconnaître par la suite.

Dès que mon joker entre dans le SEN du mort, les lignes lumineuses virent au rouge sanglant. Un sourire relève mes lèvres. Clairement, cette petite fantaisie de couleur n'était pas obligatoire, mais il faut dire que ça donne vachement bien. Il y a une petite ambiance de film d'espionnage comme on n'en fait plus désormais.

J'aurais aimé voir la réaction de Maxima, mais ses yeux demeurent cachés par ses cheveux.

Le défilement du texte codé se poursuit à vitesse inhumaine ; enfin, une suite de lettres de met à clignoter à l'avant-plan, et je passe le doigt sur l'icône « transférer ». Voilà, la petite empreinte du virus est en ma possession...

En chasse.

*

Je serre ma petite invention entre mes doigts et sors du Reichtag d'un pas rapide, plongée dans mes pensées – et dans mon SEN. Les informations présentes dans le système du mort ont été transférées dans le petit objet, sobrement appelé « Hauptschlüssel ». Un nom certes long, mais à la signification évidente : le passe-partout, la clef maîtresse. Pour faire court, je l'appelle Hauss'.

J'aime imaginer le petit bout de métal bourdonner dans ma main, chargé de milliers de courants électriques qui le traversent dans tous les sens. Un petit être presque doué de vie, capable d'emmagasiner une quantité astronomique d'informations, de les trier et de dénicher les anomalies en fonction de sa programmation. Et j'ai mis plusieurs années à perfectionner ma clef maîtresse.

Grâce à cette technologie, je compte bien retrouver la personne derrière ce mystérieux virus voleur de données...

*

C'est à m'en arracher les cheveux !

Rien, rien de rien, strictement rien !

Je rejette la tête en arrière en soupirant, lasse.

— C'est impossible, grommelé-je.

— Synaaaaaaaaa !

La voix tonitruante de Petra résonne dans les escaliers, me faisant grimacer.

— JE BOSSE !

— TU FINIRAS PLUS TARD, ON MANGE !

Je soupire. Jetant un dernier regard frustré à mon écran où scintillent des nuages de chiffres et de lettres que je connais presque par cœur, je me lève de ma chaise et descends les escaliers d'un pas lourd. Ça fait des jours que je traque l'origine de ce fichu virus, et mes pistes se révèlent orphelines, les unes après les autres...

En bas, dans l'atelier, la mécanicienne discute avec un client. L'homme, dans la vingtaine, possède de longs cheveux rouge vif et des yeux d'un bleu si intense qu'il ne peut exister que grâce à la chirurgie. Je note la symétrie de ses traits et son sourire aux dents parfaites. Vraiment, c'est un éphèbe technologique qui se tient milieu des robots en pièces détachées. Ce doit d'ailleurs probablement être un androïde, un de ces corps de métal et de plastique dotés d'une personnalité si bien pensée qu'elle en paraît humaine. Et si on prend en compte que ces systèmes hypersophistiqués apprennent d'eux-mêmes et possèdent l'apparence d'un habitant des plus banals, on obtient un être quasiment humain. La frontière n'en devient que plus floue. J'ai toujours trouvé ça fabuleux. C'est comme si nous étions devenus des créateurs de vie. Des dieux.

Un sourire perfide étire soudain mes lèvres et une lueur taquine s'allume au fond de mon regard. Je m'adosse à l'encadrement de la porte et observe Petra, qui me tourne le dos.

— Si tu as fini de draguer, Petra, on peut manger... soufflé-je d'un ton désabusé bien vite démenti par mon sourire en coin.

La mécanicienne fait aussitôt volte-face, et la lueur rose de ses iris vire au rouge sombre. Le client, lui, étouffe un rire.

— Syna, occupe-toi de tes affaires et va mettre la table !

Je lâche un petit rire et me rends dans la cuisine, alors que Petra me maudit cent fois. Bonne chance pour poursuivre ta conversation sans malaise, tiens !

Bien vite, cependant, mon amusement est balayé par une petite voix insidieuse qui me souffle que je n'ai toujours pas atteint l'objectif de ma mission actuelle.

Foutu hacker surdoué. A cause de toi, je n'ai plus rien sur mon compte depuis trois jours. 

le Coeur des HommesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant