Chapitre 2

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On dirait des étoiles. Les petites lumières logées au cœur de leurs iris me font penser à ces astres perdus dans une mer sombre. Dans ce cas-ci, je parlerais d'un océan silencieux, uniquement perturbé par la musique sortant des haut-parleurs fixés aux façades, douce mélodie répétitive, et le bruit des pas sur le trottoir. L'ensemble est à peine plus bourdonnant qu'une église.

Les passants avancent, entourés d'autres hommes et femmes, et pourtant comme englobés dans leur bulle. Leurs yeux scintillants restent figés droit devant eux, sans jamais se poser sur un détail, une rainure dans le béton, ou le beau visage d'une personne en sens inverse.

Cette atmosphère ne me dérange pas, je préfère être tranquille pour penser. J'affiche une seconde fois le message, comptant sur mes pieds pour me guider sans encombre, puis demande à mon SEN de l'enregistrer dans mes mémoires.

>> Impossible

>> Message protégé

Je soupire, mais je m'y attendais. De telles informations ne sont pas laissées sans défense. Je suis prête à parier que je ne peux même pas transférer le texte.

Je lève les yeux vers les sommets des immeubles. Berlin-Zwei m'a toujours laissé l'impression d'une ville fantôme, avec ses habitants paradoxalement déconnectés de la réalité. Les SEN ont été une révolution sans précédent, permettant d'interconnecter tous les êtres humains, leur offrant l'accès au réseau depuis leur propre tête. Tout va plus vite, les fichiers s'enregistrent à portée de pensées. Une invention qui a mené son créateur à la postérité : le docteur Hermüll a même eu droit à une rue, celle qui mène au Reichtag.

Je la foule justement de pas légers, semblant glisser sur les pavés lisses et réguliers. Quelques véhicules à suspension magnétiques me dépassent sur la voie rapide, alors que je longe les façades, croisant toujours les mêmes passants perdus dans leurs rêves éveillés — oui, cela me donne toujours une impression de féérie. Tous portent des vêtements simples et unis, comme c'est à présent la norme ; mais les excentricités se sont développées à d'autres endroits. Là, ce sont des cheveux scintillants, parcourus de ruisselantes lumières. Ici, des yeux changeants à la pupille fendue comme celles d'un chat.

Cette diversité m'a toujours fascinée. L'imagination humaine a été lâchée sur nos corps comme si elle avait jailli de sa cage, libérée par les avancées techniques. Il est à présent simple de changer la couleur de ses iris, ou bien de se tatouer un phénix flamboyant à même la peau dans de somptueuses nuances rouge et or. J'aime admirer ces motifs, je les vois comme la manifestation de la personnalité des gens que je croise. Ces inconnus qui mettent un peu d'eux-mêmes sur leur corps.

Pourtant, je n'ai jamais éprouvé l'envie de modifier ma propre enveloppe, cette peau pâle ou ces cheveux bruns plutôt ternes.

Je ne raffole pas des aiguilles, scalpels et autres joyeusetés...

Lorsque je tourne dans la ErmüllerStraße, je m'arrête face au portique muni du détecteur d'ID. Je lui présente rapidement mon poignet, puis il s'ouvre et me laisse me placer sur le tapis roulant en mouvement constant qui a pris la place du béton et des dalles lisses.

Deux voies larges, une dans chaque sens, permettent aux habitants de parcourir la longue avenue sans se fatiguer à l'arpenter à pied. A la gauche de ces voies piétonnes, les voies rapides et magnétiques permettent le passage de dizaines de véhicules à la fois, dans un cortège incessant, mais étrangement silencieux.

Afin de passer les quelques longues secondes qui me séparent de ma destination, j'enclenche ma musique personnelle d'une pensée. Les quelques notes aux accents électro m'emplissent les oreilles.

le Coeur des HommesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant