The Book

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Elle fumait. Comme un pompier. C'était tout ce qu'elle savait faire du haut de ses dix-neuf ans. Elle sortait son Zippo, et protégeait le bout de son arme pour l'allumer.

Elle avait les joues et le nez rougit par le froid. Son manteau en laine sur les épaules, elle attendait là, dans l'hiver.
Son manteau n'était en réalité pas vraiment le siens. Elle l'avait pris hier matin, lorsqu'elle s'était réveillée dans le lit d'un homme qu'elle avait sûrement rencontré en soirée. Comment s'appelait-il ? Théo ? Paul ? Elle n'en avait pas la moindre idée et à vrai dire elle était très mauvaise à ce jeu là. Elle se souvenait juste qu'en enfilant sa veste en jean, et après avoir vu qu'il neigeait, elle avait décidé de prendre plus de précautions pour affronter le froid et de lui emprunter son manteau. Emprunter n'était pas vraiment le terme. Elle ne dormait jamais deux fois au même endroit et jamais deux fois avec la même personne.

Elle prenait une taffe longue et calme pour réchauffer ses poumons en dépit de pouvoir chauffer son visage.

Le ciel était d'un gris clair et lumineux et des petits flocons tombaient sur le sol, formant une fine pellicule blanche partout autour d'elle. Elle observait les arbres sans feuilles, victimes de l'hiver, attendant son bus, une clope dans la main et un bouquin dans l'autre, adossée à une barrière.

Elle soufflait lentement la fumée toxique qui formait un nuage aussi blanc que la neige autour d'elle.

Elle était belle et elle le savait. Elle avait un charme incroyable et rien qu'en la voyant on voulait lui offrir la lune.
Ses yeux étaient noirs, froids et perçants. On aurait dit qu'elle lisait l'âme des gens comme elle lisait son livre: calme, concise, avec une froideur éternelle.

Elle reprenait une taffe qui consumait presque entièrement sa cigarette tandis qu'elle entamait pour la énième fois la dernière partie de "Fahrenheit 451". Ce livre était sa bible à elle. Bradbury avait réussi à lui faire ressentir ce qu'elle n'avait jamais pu ressentir d'elle même: le désir d'apprendre.
Elle l'avait tellement lu qu'elle en connaissait presque les discours par cœur et le livre était rempli de ratures, de remarques ou de notes qu'elle avait inscrites au fils de ses lectures dans les marges.

Elle voulait rentrer chez elle. Toute la journée d'hier, elle l'avait passée dehors, de bars en bars, d'amis en amis et d'hommes en hommes, si bien qu'elle n'avait pas mis les pieds une seule fois dans son appartement.

Elle finissait sa cigarette tout en regardant sa montre après avoir posé son livre, puis, dans un mouvement perpétuel, reprenait une cigarette de son paquet de Malboro, l'allumait avec son Zippo et reprenait son livre.

Elle perdait patience. Non pas qu'elle eu été particulièrement en retard, personne ne l'attendait chez elle, mais elle avait cette impression de sentir l'alcool et l'homme qui la répugnait plus que tout. Elle voulait prendre une douche, et vite.

Elle aurait pu demander à un ami de la ramener, plutôt qu'elle attende dans le froid, mais elle était plutôt vieille âme, aimait beaucoup marcher et détestait la voiture plus que tout. Et puis la neige, elle adorait ça. Ça l'apaisait et lui permettait de fumer moins.

Les bus ici, passaient toutes les vingt minutes et ça faisait dix bonnes minutes qu'elle attendait déjà.

*

Il courait. Très vite. C'était tout ce qu'il savait faire du haut de ses dix-huit ans.
Il courait, son sac à dos presque vide flottant au rythme de sa course effrénée. Ses enjambées étaient précises et appliquées pour être sûr de ne pas déraper sur le mince drap blanc tout autour de lui. Ses chaussures lui faisaient un mal de chien.

Il avait la respiration saccadée par l'effort de sa course mais il ne ralentissait pas pour autant. Il avait froid. Son souffle apparaissait comme un nuage blanc et le vent lui fouettait le visage de pleine face, alors, il remontait l'énorme écharpe noir que sa mère l'avait forcée à prendre avant de sortir, sur son nez, en la remerciant intérieurement d'être aussi têtue.

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