Adieux

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-Bien Aratan ! Recommençons !

Alyssia se replaça en position de garde, comme elle le faisait depuis une heure. Vêtue d'une tenue décontractée, un short bleu et un débardeur de la même couleur, elle ne me ménageait pas le moins du monde. Sa lance brillait à la lueur du soleil de ce début du mois de juillet particulièrement chaud.  Autour d'elle, les bambous s'agitaient doucement au fil du vent, des renards passaient de temps à autre mais elle ne s'en souciait pas du tout. Ses yeux d'acier étaient rivés sur moi, tendue comme un arc. Elle attendait que je répète avec elle une série d'enchaînements particulièrement ardus et difficiles qu'elle avait entamé le lendemain de ma venue en Chine. La jeune fille m'en ajoutait un chaque jour, croissant dans la difficulté. Alyssia maniait sa lance, une redoutable arme de deux mètres de long pourvue d'une lame effilée à son bout, avec efficacité. Elle était la meilleure duelliste du camp, juste après Zhen.

Mes deux épées en main, j'ai poussé un soupir. Torse nu, en raison de l'immense chaleur qui régnait ce jour-là, je sentais la sueur perler sur mon corps. En trois mois, j'avais changé physiquement. J'étais plus grand, plus musclé aussi, ma peau avait légèrement bruni. J'avais de nombreuses cicatrices, des petits traits blancs, sur mon torse et mes bras, signes de mes affrontements perdus contre Zhen ou Alyssia.

Psychologiquement aussi j'avais changé. Zhen me répétait qu'il s'agissait d'un effet normal de l'Intronisation. Tous les Archanges apprenaient la façon d'agir d'un autre pays, d'un tout autre mode de vie. J'avais appris le sens de l'honneur, du devoir, celui du respect et de la détermination. Mais selon mes deux amis, il me manquait encore de la rigueur. Mon côté "européen" comme ils se plaisaient à le dire. J'appelais ça mon "improvisation innée".

Resserrant la prise autour de mes deux épées, plus efficaces pour contrer une lance, je suis parti à l'assaut. J'alliais vitesse et force, sans aucune hésitation. En trois mois passés à m'entraîner tous les jours pendant deux heures avec Alyssia, Zhen ou un autre Archange, j'avais gagné en assurance, en dextérité. J'étais plus sûr de moi, je contrôlais mieux mes coups. J'étais devenu un duelliste remarquable, rapide et puissant.

Mon premier assaut, porté par ma main droite, échoua sur la hampe de la lance d'Alyssia. Elle tenta de faire pivoter son arme pour me donner un coup dans le nez mais j'y étais préparé. De l'extérieur, il ne s'agissait que d'un duel au hasard mais chaque coup, chaque attaque, chaque riposte avait été préparé, millimétré. Alyssia pratiquait toujours ces entraînements avec moi. Selon elle, cela renforçait la mémoire musculaire et cela nous apprenait de nouvelles combinaisons d'attaque. Et aujourd'hui, lors de notre centième entraînement, elle souhaitait faire une sorte de répétition, répéter encore et encore et encore tous les mouvements appris afin qu'ils deviennent aussi naturels que de respirer ou de penser. Et mine de rien, cela portait ses fruits. Certes, je n'apprenais pas à contrer de nouvelles attaques ou à réfléchir par moi-même en cas de danger imminent mais tout cela, Zhen me l'enseignait. Alyssia avait une approche plus théorique, plus rigoureuse. Recommencer, encore et encore, jusqu'à ce que mes réflexes deviennent aussi vifs que le vent, mes coups aussi puissants que la pierre, ma volonté aussi dure que le fer.

Et ainsi, nous avons ferraillés pendant de longues minutes. Son visage était crispé par la concentration, suant sous l'effort. Elle levait sa hampe, allongeait des bottes, tentait des fentes. Elle était plus forte et endurante que moi mais cela n'avait aucune importance pour ce type d'entraînements. Ce qu'il nous fallait était la réactivité, les réflexes et la concentration. Et de mon côté, mes deux épées volaient, sifflaient comme des guêpes furieuses. Elles passaient au ras de la peau d'Alyssia juste avant d'être évitées ou bloquée par sa lance. Mes muscles tiraient, se crispaient, se tendaient, encore et encore, inlassablement. Je ne réfléchissais plus, j'agissais simplement en laissant ma mémoire agir, la laissant prendre le contrôle. Je sentais le soleil taper contre ma nuque puis contre mon torse au fur et à mesure de mes mouvements, mes épées capter les rayons solaires selon leur orientation et la lance d'Alyssia siffler comme un serpent prêt à mordre. Nous ne faisions que répéter un ballet, une danse d'épées, comme deux artistes qui répètent une dernière fois leur chorégraphie. Depuis le premier exercice, qui m'avait paru si long et ennuyeux à simplement attaquer son flanc par la droite inlassablement, nous avions tant progressé, tant appris. 

Aratan : l'Arcane du Démon [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant