Démasquée

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Josephine Snow se réveilla en sursaut, le souffle court, ses beaux cheveux roux en bataille, et ses pupilles vertes dilatées. Elle regarda autour d'elle. D'autres filles dormaient à ses côtés, dans des lits grinçants et inconfortables. Elles étaient toutes rangées par colonnes de huit, et par ligne de cinq. Jo s'était amusée à les compter lors de ses nuits d'insomnie. En tout, elles étaient quarante. Quarante orphelines. Quarante jeunes filles âgées entre cinq à dix ans. Les plus âgées dormaient au deuxième étage tandis qu'elles, les plus jeunes, avaient le droit au sous-sol. Il y faisait froid et les rats étaient devenus une habitude pour Jo. Mais le pire était l'odeur qui y régnait. Un mélange de sueur et de moisissure. D'excréments et d'urine. Mais au bout d'une année plongée dans ce tourbillon infernal, Jo n'y était plus sensible. Elle parlait aux rats, ses seuls amis, et se lavait tous les deux jours seulement.
Elle secoua la tête pour chasser le sommeil de ses yeux et tenta de se remémorer son rêve. Jo se souvenait d'une voix de femme, qui la pressait d'avancer, du vent soufflant dans ses oreilles, et de deux détonations. Puis elle s'était réveillée. Sa tête la faisait souffrir mais elle se leva et se chaussa de pantoufles trouée avant de sortir discrètement du dortoir, veillant à ne réveiller personne.
Jo prit les escaliers et pénétra dans le rez de chaussé. Elle prit à droite et monta des escaliers en bois, qui semblaient fragiles. Mais la jeune orpheline les monta silencieusement et ouvrit une lourde porte en bois qu'elle peina à ouvrir. Puis elle entra dans son jardin secret.
La pièce était petite et poussiéreuse. Il n'y avait qu'une seule fenêtre et la lune baignait la pièce d'une lueur argentée. Sur tous les murs étaient gravés des inscriptions, des dessins, voire même des calculs. Jo se dirigea vers le milieu de la pièce où une latte de plancher gondolait légèrement, suffisamment pour qu'une personne étrangère ne le remarque pas. L'orpheline souleva la latte et sortit une petite boite en bois. Elle l'ouvrit et sortit son contenu. Jo posa au sol une plume bleue d'un geai des chênes, un morceau de bois de cerf, des petits os et des déjections de chouettes, ainsi qu'un carnet en cuir noir et aux pages courbées. Jo prit la plume et la trempa dans un petit bol d'encore noire, avant de sortir un livre poussiéreux. Elle l'ouvrit et commença à le lire, à la lueur de la lune.
Plusieurs heures après, Jo referma sa précieuse boîte, fatiguée, mais éprise d'un puissant sentiment de satisfaction. Elle cacha son secret et se leva quand elle entendit un bruit. Celui d'une personne qui monte les escaliers grinçants. Ses yeux verts s'agrandirent et cherchèrent une cachette. Mais trop tard. La porte s'ouvrit et une grosse dame à la mine rouge entra dans la pièce, ses yeux tout bouffis brillants d'un éclat méchant et victorieux. Elle portait une chemise de nuit blanche sale qui lui tombait au dessus des chevilles, et sa tresse pendait sur son épaule gauche, faite de cheveux durs et secs comme de la paille. Elle pointa un doigt sur la jeune rousse, un sourire mauvais aux lèvres.
-Vous! Dans le bureaux de la directrice!
Josephine cligna des yeux, terrifiée et tremblante. Elle savait comment la grosse dame l'avait trouvée. On l'avait conduite à elle. Et Jo savait qui était celle qui l'avait dénoncée. Elle avait vu le pli de la robe de nuit de la jeune femme, le bout des chaussons neufs qui dépassaient légèrement derrière Madame Jaith, ainsi que le léger ricanement qui ne cessait pas depuis que Jaith avait ouvert la porte. Ce ricanement reconnaissable entre tous. Celui de Lucy Blender. Jo baissa la tête et passa la porte avant de se tourner, aussi calme qu'un cours d'eau, vers la riche fillette. Cette dernière avait de magnifique cheveux noirs et des yeux de biche à faire craquer les esprits les plus durs. Elle n'avait que sept ans mais était déjà la pire peste qu'il soit. Toutes les surveillantes lui obéissaient et la chouchoutaient comme si c'était la plus belle chose dans ce monde. Lucy lui adressa un sourire innocent avant de murmurer lorsque Jaith eut le dos tourné.
-Le petit rat est démasqué on dirait...
Jo se contenta de la regarder intensément dans les yeux, avant que ses lèvres n'esquissent un léger sourire. La mine triomphante de Blender disparut aussitôt et elle cracha:
-Qu'est-ce que tu regardes le rat?
Le sourire disparut lui aussi mais Jo le conserva dans sa tête. Peut être que Blender avait gagné un point, mais Jo, elle, gagnerait la partie.

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