Première Gouttes

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Après avoir perdu son trésor, Jo sortit calmement de sa pièce et s'engouffra dans le grand réfectoire. De nombreuses orphelines étaient déjà présentes et bavardaient gaiement autour d'épinards, plat qui fit frémir Jo, car plus d'une fois, ses vêtements avaient été tartinés de ces légumes verts. A son entrée, des yeux acérés la transpercèrent jusqu'aux os et toute la salle se tourna vers la rouquine. Cette dernière les ignora, s'approcha de la dame qui servait la nourriture et plongea ses yeux dans les siens. Miss Artson avait pleuré. Pourquoi? Elle le saurait un jour ou l'autre de toute manière. La serveuse lui remplit d'une seule louche de légumes, le regard vide. Jo prit la petite portion sans broncher et s'installa à une table, seule, comme elle en avait son habitude. La rouquine entendit des ricanements dans son dos et n'y prêta aucune attention et réfléchissait plutôt au moyen de se venger de Blender. Cette dernière aimait être raffinée et bien habillée. Elle avait une chambre de surveillante au troisième étage, pas facile d'accès, car c'était l'étage des surveillantes, si Jo traînait là, les surveillantes sauraient qu'elle préparait quelque chose. Personne ne l'aimait donc tout le monde la craignait. Jo tourna très légèrement la tête et devina tout de suite ce qui se tramait. Mais elle n'eut pas le temps de réagir que déjà, une cuillerée d'épinards s'écrasa contre sa chaussure, éclaboussant au passage ses chaussettes blanches.
-Miss Snow! s'écria Jaith. Allez vous changer immédiatement! Comment souhaitez vous être adoptée si vous passez votre temps à vous salir!
Jo serra les dents et ses narines se dilatèrent. Elle plongea son regard furieux dans celui de la grosse dame.
-Quelque chose à ajouter Miss Snow? tonna la grosse dame.
Jo ne prononça pas un seul mot, se contentant de fixer la dame de ses yeux pétillants.
-Je préfère ça, grogna Jaith, un sourire victorieux à ses lèvres en forme de boudins avant de réprimander une autre jeune fille qui volait du pain.
La rouquine fit volte face et jeta le plus noir des regards à Blender, qui lui adressa un sourire méchant.
-Tu veux un autographe le rat? Quoique non, tu risquerais de contaminer la plume.
Et Lucy ainsi que ses fidèles chiens, éclatèrent de rire. Jo eut envie de l'étranger, de la tuer, de la griffer mais elle se contenta de s'enfuir du réfectoire, ravalant sa colère noire.
La jeune fille arriva au grand hall, une pièce qui aurait pu être belle, si elle avait été nettoyée et si les araignées n'avaient pas élu domicile. Jo jeta un coup d'œil derrière elle, et voyant que personne ne la suivait, elle prit les escaliers qui menaient au troisième étage et entra dans une armoire poussiéreuse et ancienne. Deux surveillantes venaient. Elles allaient manger, et étaient les dernières à cet étage car l'une portait les clefs sur elle, Jo entendait leur tintement reconnaissable.
Une fois qu'elles furent parties, Jo bondit hors de sa cachette et marcha, collée aux portes de chambres. Puis la jeune fille s'arrêta net devant l'une d'elle, la troisième en partant des escaliers. Une faible odeur de parfum au Jasmin. Le parfum de Blender.
Jo pressa la poignée et la porte s'ouvrit d'un grincement peu discret et la rouquine ne réfléchit pas deux fois. Elle entra et ferma soigneusement la porte.
Elle en ressortit quelques minutes plus tard, satisfaite de son travail et alla directement au rez de chaussé, ranger le peu d'affaires qu'il lui restait.
Alors que la rouquine venait de fermer sa petite valise, un cri perçant résonna dans tout l'orphelinat. Un moment elle crut qu'il s'agissait de Blender qui avait découvert sa vengeance, mais non. Le cri venait en réalité d'une fille plus âgée. Jo laissa sa valise et courut aussi vite qu'elle le pouvait, suivant le flot d'orphelines.
Une adolescente tremblait de tout son corps, des larmes coulant, les yeux terrifiés, les lèvres pâles. A l'arrivée des surveillantes et des jeunes filles, elle leva la tête.
-Que se passe t-il Miss Logy? pressa la directrice, le regard dur.
La dénommée Logy pointa un doigt tremblant vers un placard à balais et tout le monde se pencha avant. Et Jo vit tous les visages devenir livides. Elle s'approcha du placard avec l'agilité d'un chat et s'arrêta net. Devait-elle être triste, effrayée? Ou encore horrifiée? Elle ne ressentait rien de tout cela. Mais de la joie, satisfaction, et émerveillement ça oui. Jo sourit discrètement avant de se fondre dans la masse, ne lâchant pas du regard, le corps ensanglanté de Lucy Blender.

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