Stars-Valentin 2021

Cœur épié, raison assiégée

Un an avant le début d'Esmantium 1...

Samedi 14 février, 16h34.

À ma gauche, Aaron engloutit les derniers cœurs d'une boîte de chocolat bon marché achetée en fin de matinée.

Il a bien essayé de me distraire une ou deux fois, depuis le début de notre traque, mais malgré toutes ses manigances, j'ai réussi à garder la cible dans mon angle de vue.

Il fallait s'y attendre : c'est Aaron.

Il ne répond qu'à la discorde. Tout ce qu'il dit, tout ce qu'il fait n'a d'autre objectif que de concourir au plaisir. Son plaisir.

Et tant pis s'il doit écraser la terre entière pour y parvenir.

La cible, elle, est beaucoup plus prévisible.

Elle n'est plus sortie de chez elle depuis midi, heure à laquelle elle s'est aventurée à l'extérieur pour effectuer quelques emplettes à l'épicerie du village.

Comme toujours, elle n'y a rien trouvé de bien ragoûtant : des légumes en conserve, des plats surgelés et un maigre sachet de popcorns qu'elle réserve pour son film du soir, une comédie à l'eau de rose sans grand intérêt.

Sucrés, les popcorns.

Nécessairement, naturellement, indubitablement sucrés.

Ma cible est une jeune femme d'habitudes.

Cette fois encore, rien ne pourra la détourner de la misère de son quotidien.

Ni la Saint-Valentin, ni les deux espions postés face à sa fenêtre.

Aaron et moi sommes des ombres, des agents chargés d'épier ses moindres faits et gestes, du petit-déjeuner qu'elle prend le matin aux poèmes qu'elle écrit, tard le soir.

Je suis seul, d'ordinaire, mais après des mois et des mois de supplications un tantinet exagérées, j'ai cédé... et accepté que mon comparse me tienne compagnie pour la journée.

... même si je savais pertinemment que l'expérience risquait de tourner au désastre.

— Je te plains, mec. Vraiment.

— Merci de compatir à mon malheur, Aaron. Il faut vraiment être désespéré pour bien vouloir passer toute une journée avec toi.

— Sérieux, je comprends pas pourquoi Nono t'oblige à suivre cette meuf. Je m'inquiète pour toi, Gaugau. Tu vas finir par prendre racine, à force de la relooker depuis la forêt.

— C'est une mission comme une autre... éludé-je, peu enclin à questionner à nouveau les motifs de mon assignation – aussi insensés soient-ils.

Durant mes multiples tours de garde, j'ai en eu, des occasions de réfléchir à ma présence ici.

Vengeance, complot, obsession soudaine... Tout était bon pour expliquer la décision de mon chef, Nomis. Il devait bien avoir une raison, pour demander à l'un de ses meilleurs éléments de veiller plusieurs jours, plusieurs nuits par semaine sur cette fille mortellement banale !

Mais à force de voir ma cible dévorer un à un tous les bouquins de sa bibliothèque, j'ai fini par me rendre à l'évidence : quel que soit l'intérêt qu'y trouve Nomis, il ne m'a pas confié cette tâche pour rien, et après tout ce qu'il a fait pour moi, je veux me montrer digne de sa confiance.

Refuser de me fier à son jugement, ce serait le décevoir, et je ne trahirai jamais celui qui m'a toujours apporté conseil, protection et pouvoir.

— Ouais, bah c'est bien relou, commente Aaron en jetant la boîte de chocolats désormais vide par-dessus son épaule, sans se soucier ne serait-ce qu'une seconde de l'endroit où elle risque d'atterrir – en plein milieu des ronces.