Point de vue de Thomas
Valentine, le voix de Chet Baker sur ce bon vieux standard, la bohème mélancolique de Tom Waits. Rien d'autre, enfin jusqu'à aujourd'hui. À seize ans, le concept un peu brouillon d'amour s'imposait progressivement à moi alors que j'avais enfin décidé d'être un mec bien, d'organiser ma vie proprement et de clarifier mes sentiments avec la fille qui me plaisait : Nina.
Quatorze février. Je n'avais pas dormi de la nuit, trop tourmenté par mes sentiments et par mes stratagèmes manipulateurs pour la convaincre de m'aimer en bonne et due forme. Les sentimentalités, ça n'avait pas marché pour mes parents, et ça ne marcherait probablement pas pour moi non plus, mais je voulais être de bonne foi, faire les choses avec application. J'étais devenu perfectionniste et ce drôle de penchant venait contaminer même les pans les plus insignifiants de mon intimité.
Harry se pointa à mon casier, une rose théâtralement coincée entre les dents. Je remontai ma mèche sur mon front pour le voir moins flou, je manquais définitivement de sommeil. Il souriait comme un idiot, un petit mot pendouillait depuis la tige. Il retira la fleur pour m'interpeler ;
« Alors, Thomas ? Combien de roses cette année ? » blagua-t-il, essuyant ses lèvres avec sa manches.
Un bout vert de tige était resté sur sa dentition du bas. Je fis la moue pour lui communiquer mon indifférence et composai le code de mon casier. Chaque année, le lycée vendait des roses pour des œuvres de charité. La somme revenait à une association pour les lésés de Californie, les fleurs étaient distribuées aux destinataires avec un petit mot d'amour anonyme — ou non. J'ouvris la porte métallique et une petite dizaine de fleurs me tombèrent dessus. Je portai un doigt à ma pommette, éraflée par une tige.
« C'est violent, l'amour ! Je crois même que tu saignes. Tu t'es tapé la seule rose avec des épines, t'es doué. C'est Charlie Williams qui te l'a offerte, ou quoi ? se marra-t-il.
Je récupérai la fleur et entrouvris le petit mot. Ce n'était certainement pas son écriture dérangée. Les cursives étaient trop rondes, probablement une autre footballeuse. Avec le temps, j'avais appris à décrypter les admiratrices et à reconnaître les ennemies.
— C'est pas elle, marmonnai-je. D'ailleurs, je lui ai préparé un sale coup pour aujourd'hui. Je te raconterai si ça se passe comme prévu.
— T'as utilisé une rose ? Elle se doutera que c'est toi, répliqua-t-il.
— Pas sûr, j'ai demandé à Jack d'écrire. Cet « admirateur » loue ses talents de musicienne avec des fautes d'orthographe et lui donne rendez-vous à la salle de répétition à dix-sept heures. Je croise les doigts pour qu'elle se pointe et que mon plan se déroule comme prévu.
— J'espère qu'elle sera emballée par tes mots d'amour, Thomas. Ne te fais pas trop d'espoirs, la meuf est plutôt acariâtre. Je me demande même parfois si elle a des sentiments... »
À ce moment précis, ses collants débarquèrent devant nous, en contre-jour devant la baie vitrée. Elle transportait presque autant de roses que moi. Ses petits doigts luttaient pour ne pas lâcher la masse de tiges trop épaisse pour elle. Ça devait l'agacer, son pas était encore plus décidé que d'habitude.
Elle traça en direction d'une poubelle pour y enfoncer son bouquet. Je grimaçai, mon plan était foutu. Puis, ses mains redevinrent visibles et je remarquai le bout de papier bleu ciel — caractéristique du perfide mot d'amour que nous avions rédigé avec Jack. Elle avait donc gobé cette gentille intention, mais ça ne lui plaisait visiblement pas.
Mon pouce tapa machinalement sur l'écran de téléphone, je bloquai ma respiration. Je n'avais toujours reçu aucun texto.
« Donc tu lui as vraiment proposé un rencard ? souffla-t-il.
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Stars-Valentin 2021
RomanceLe temps est à l'amour, sous toutes ses formes et sous toutes ses couleurs. Peu importe d'où il vient, il nous touche de la même façon. À l'occasion de la Saint-Valentin, les Stars de Wattpad se sont réunies pour vous offrir une anthologie spéciale...