Katsudeku n°7

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Regret instantanné:
  C'est aujourd'hui. Le grand jour. La date fixée depuis déjà six mois. Plus rien ne me retient ici. Je pars à la supérette du coin et y achète un sachet d'une dizaine de lames de rasoir. Une seule m'aurait suffit mais on ne peut pas en acheter à l'unité. Je me dirige vers la gare. Mon ticket réservé un semestre auparavant dans ma main sèche et rugueuse. Les haut-parleurs m'appellent vers le quai qui me mènera à le mort. Le silence règne autour de moi. Mon mal-être obstrue ma vue de tout ce qui pourrait me retenir de partir. Une connaissance, un gâteau de chez Paul, un toutou mignon, ou même une cannette traînant par terre. Je n'ai plus conscience de ce que je fais. Mon corps bouge mais mon esprit s'en est allé. Je ne suis qu'un corps voguant vers sa fin proche. Je me sens léger, je ne ressens plus mes pieds qui avancent, décidés à me mener à ma disparition. Je passe les portes du quai, entre dans le wagon. Pas une once de regret ne traverse mes yeux lorsque le train démarre. Le paysage de ma vie défilant derrière cette vitre en plexiglas. Un léger filet de larme s'écoule de ma joue jusqu'à mon menton. Arrivé. Je me lève de manière brutale et automate. Je sors du wagon d'un pas sur et décidé. Je ne reculerai pas. J'en ai trop fait pour ne regretter que maintenant. Il n'y a plus rien à sauver dans ma vie. Le bonheur m'est privé depuis que je l'ai volé à la personne que j'ai le plus aimé de toute ma vie. Égoïstement, j'ai gâché la sienne. Pour prouver au reste du monde que j'étais plus fort que lui, plus fort que quiconque. Alors que je ne suis que la plus faible chiure du monde. Je sors de la gare, loue un vélo communal et m'élance sur la piste cyclable longeant le fleuve. Je pedale calmement, m'arrête quelques fois, pour cueillir des fleurs. Un bouquet de jonquilles et de fleurs de cerisier est désormais logé derrière mon oreille droite. Je m'en servirai pour décorer la dernière scène du film qu'est ma vie. Au loin j'aperçois un banc de bois vert jonché et envahi d'Ipomée. Un décor parfaitement romantique qui rattrapera la vie brutale et égoïste que j'ai vécu jusqu'à maintenant. La bicyclette délicatement déposée sur un buisson de roses en fleur, je m'assieds sur la surface délavée et abîmée par le temps. J'enfonce la main dans ma poche, froissant la mâche de ma chemise nacrée et en sors le sachet, le déchire deliquatement au niveau de l'ouverture facile. En sors une lame et jette le reste dans la poubelle en fer rouille a droite du banc. Je presse désormais fermement dans ma main droite, la lame qui m'enlèvera la vie. Je l'avance vers mon bras gauche, tremblant de tout mon corps. La lame aiguisée se dépose sur ma peau puis s'enfonce dans ma chair, laissant apparaître une goutte de sang. Du bruit. J'en fais abstraction et cache ma main droit avec la manche de ma chemise trop longue tout en continuant mon geste. Quelqu'un chantonne et se rapproche de ma position. Toujours concentré sur mon action, je focalise ma vision sur ma mèche se n'oyant dans le sang de mon avant bras. Je commence à me sentir faible. Une personne entre dans mon champ de vision. Je relève la tête et la fixe. Non. Je ne peux plus. Je vois flou. Puis ne voit plus rien du tout. Je vois juste... ses cheveux verts.

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(595 mots)

Recueil d'os yaoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant