Chapitre 1 : « Comme un médaillon sans maillon. »

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Narratrice: Anna.

En cette fin d’été, la rentrée se rapproche à grand pas. La rentrée des classes n’était pas ma tasse de thé d’habitude, mais celle de seconde était déjà toute programmée : elle devait changer ma vie.

L’école avait toujours été un lieu de torture pour moi.  L’obstacle n’était pas la difficulté des cours mais la mentalité des écoliers.

L’école est une bergerie : c’est ce que j’ai toujours pensé. Des copies entretenues par un berger impuissant. Quand un mouton s’éloigne du troupeau, la horde le menace d’un regard sardonique. Quelques effrayés regagnent la meute, d’autres s’en arrachent et subissent encore et toujours la satire.

Je suis entrée en 6e à Jules Ferry seule.  Tout le monde avait ses amis, tout le monde riait. Pas moi. Mon amie d’école primaire, Camille, avait déménagé et je ne l’ai jamais revue.

Pendant quatre longues années, j’ai été le terrain de jeu d’un groupe de mon collège et je ne sais toujours pas pourquoi. Je n’eus comme seul autre refuge aux moqueries que les livres. Les personnages de roman sont souvent comme moi, délaissés et détestés. C’est pour cela que lire plaisait tant. C’est toujours au personnage le plus banal qu’arrivent les choses les plus merveilleuses. En parcourant les livres, j’avais secrètement espoir qu’à moi aussi, il m’arrive quelque chose d’incroyable.

A partir de la Troisième, j’ai commencé à écrire : mon stylo et mon cahier sont devenus mes meilleurs amis. 

Un soir, pris un Bic et mon cahier d’histoire et j’ai fait naitre mes meilleurs amis, dans un récit dont moi seule serait maîtresse. Je pouvais choisir le destin de tout un chacun. Je choisissais leur comportement. J’étais leur mère sans les avoir portés. Mais le plus beau c’est que si les personnages soudainement m’énervaient, je pouvais les jeter à la poubelle sans m’inquiéter.

Ecrire est une libération. Un autre monde. Le monde de l’imagination, que chacun voit comme il veut, puisque l’imaginaire est l’idéal.Je ne jetais pas mes maux sur papier comme sur un journal intime. De toute façon, quelle feuille aurait envie de porter ma vie ?  Je créais le monde dans lequel je voulais vivre.

Le blanc de la feuille scintille dans ce monde noir. Elle était la seule lueur d’espoir à laquelle je pouvais m’accrocher ; la seule qui ne me faisait pas sombrer.

Malgré le plaisir que me procurait l’écriture, je n’ai pas manqué à vouloir quitter ce monde.

Ce monde paisible où le poids de ton cœur n’est plus m’envoûtait. Son équation n’a qu’une solution : c’est ta vie qui doit passer de l’autre côté. Je me demandais toujours quelle réaction auraient les gens, si je partais pour de bon mais il y avait toujours une petite chose qui  me retenait. Un livre à lire, une histoire à écrire ou la peur de rendre ma mère trop triste.  J’ai toujours eu peur de lui faire mal, de la décevoir. Elle avait une belle vision de l’avenir pour moi, elle me voyait juge ou bien architecte, images qu’elle n’avait pas du reste de ma fratrie et qui me rendaient fière.

La solitude a créé des ravages énormes en moi. Les rumeurs qui couraient entre les murs  du collège m’assassinaient. A la sortie des cours, une bande aimait bien me frapper,  arracher mon sac et parfois mes vêtements. J’étais tellement faible face à eux cinq. Au début, je me débattais mais au fur et à mesure, mes cartables défilaient et je n’avais même plus la force de leur dire d’arrêter.

Je trouvais toujours un prétexte quant à mon visage griffé ou mon cartable décousu quand ma mère me hurlait dessus réclamant une explication rationnelle. J’ai trouvé des excuses en carton pendant 4 ans. Pendant quatre ans je menais cette double vie de masque vénitien, triste la nuit et « heureuse » pour mes parents, mes professeurs. Je vivais dans le mensonge, car je pensais que toute vérité n’est pas bonne à dire. 

Aujourd’hui, j’ai cessé d’espérer.  Je suis dans l’attente d’un miracle. Et celui-ci va peut-être se trouver dans le lycée Lambert. Personne de mon ancien collège n’y va : ce lycée est appelé par la plupart des gens comme « refuge à bizarres, élèves et profs ». C’est pour ça que je suis allée là-bas. Moi aussi on me disait « bizarre ».

Je suis allongée dans mon lit. Demain, je serai dans ce refuge et je vais peut-être enfin faire partie d’une bande, et ce n’est pas une occasion à rater. Demain est un tournant de ma vie des plus importants.

« Anna...»

Quelqu’un m’appelle. C’est étrange mais ce n’est pas la voix de quelqu’un de ma famille.

Une voix suave, envoûtante, presque inhumaine. Les deux syllabes de mon prénom, articulées à la perfection résonnent en mon esprit telle une mélodie.  

« Anna...»

Elle revient, toujours aussi parfaite. Jamais je n’ai entendu une voix pareille. Elle est tellement singulière que j’ai l’impression de découvrir grâce à elle ce mot par lequel je suis la plupart du temps désignée Mais je suis trop fatiguée pour y penser.

Je m’endors, anxieuse mais impatiente.

Menthe à l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant