Chapitre 7 : «Il n'y a plus de fleurs, plus de soleil qui atteigne mon cœur. »

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Narratrice : Salomé.

Je file du mauvais côté, je le sais. Depuis que le nouveau petit copain d’Adèle est entré dans notre bande, tout n’est plus que drogue et sexe, parti auquel Cem est tout à fait favorable. Cem et moi sommes ensemble depuis quelques mois mais notre relation a réellement commencé il y a deux semaines. On s’est embrassés le dernier jour de troisième. Je ne savais même pas si l’on était officiellement en couple, puis l’été nous a séparés. Le jour de la rentrée, nous nous sommes retrouvés comme si rien ne s’était passé. Durant les deux semaines qui ont précédé l’arrivée de Kurt, j’ai eu l’impression que Cem m’a aimée. Il était doux, gentil, attentionné… alors je me suis donnée à lui par amour.

Puis vint le jour où ce rockeur  drogué  nous a été présenté. Il est vrai qu’il était plutôt beau, gentil et charismatique mais il est complètement rongé par la drogue. C’est malheureux à entendre, un garçon de seize ans si mignon déjà sous l’emprise. Je ne m’étais pas rendu compte que tout le monde avait adoré Kurt, c’est le lendemain que je l’ai compris. Mes amis n’étaient pas à notre point de rendez-vous habituel mais devant le lycée. Ils fumaient. Quand je les ai rejoints, ils n’ont pas fait grande attention à moi : ils étaient tous dans un monde parallèle, que je pouvais entrevoir à travers leurs pupilles dilatées. 

Le lendemain, j’ai fumé aussi. Ce n’était pas du tout par envie mais je ne voulais pas partir dans une direction contraire à Cem, ni à mes amis. Je n’étais pas assez courageuse pour leur demander, seule contre cinq, d’arrêter cette bêtise. Mes doigts tremblaient à la portée du petit cylindre mais quelques secondes plus tard, je n’avais même plus peur. Moi, Salomé Flamand, la petite fille sage qui avait toujours eu les félicitations a pris un joint pour faire comme les autres... J’ai bien fini par redescendre sur terre, mais j’ai eu l’impression d’avoir perdu Cem sur la route du retour. Plus jamais il ne m’a passé la main dans les cheveux pour ensuite me les placer derrière l’oreille. J’aimais tant ce geste, qui plus qu’un baiser démontrait l’affection qu’il me portait.

Avant de nous rejoindre, Kurt traînait avec Anna Stier. C’est une fille grunge gothique qui lit souvent pendant les récréations depuis que Kurt l’a laissée. Elle est tout bonnement magnifique, avec de grands yeux souvent tristes et des fossettes. Adèle et Blanche la détestent. Malgré que celles-ci soient mes deux meilleures amies, je ne suis pas de leur avis. Elle est vraiment à plaindre, cette petite poupée : elle était dans mon ancien collège. Pendant quatre ans, je l’ai vue errer dans les couloirs, à la recherche d’un peu d’espoir.  Ses las pas avaient cessé au lycée avec Kurt. Pour la première fois, j’ai pu apercevoir derrière son rouge à lèvres sa dentition parfaite. Depuis lundi, départ de son ami sans un au revoir, sa nonchalance est revenue.

Je ne sais plus où j’ai la tête. La drogue m’en consomme une partie mais Cem dévore l’autre : il n’est plus ce garçon souriant pour qui j’ai pleuré l’été. Je suis allongée sur mon lit et je réfléchis.  Je ne fais plus que cela en ce moment car je n’ai de force pour rien d’autre. Je n’ai force, je n’ai envie : j’essaie de me maintenir en vie. Je ne comprends pas comment on a pu en arriver là. Il n’y a plus de fleurs, plus de soleil qui atteigne mon cœur en pleurs. Il est maintenant une terre froide où tout se meurt, où tout a été empoisonné par une satanée fumée. Je redoute déjà demain matin, l’instant où j’aurai en main ce maudit joint. Je redoute tout ce qui me ramène à lui.

Mon portable, posé sur mon bureau vibre : c’est Cem qui m’appelle. On a l’habitude de s’appeler le soir. J’inspire un grand coup et décroche.

« Bonsoir.

-Coucou ma belle. Je suis fatigué ce soir alors je vais me coucher. A demain ?

-Ouais salut. »

J’ai perdu mon amour, quel que soit le masque qu’il enfile ou les mots qu’il murmurerait, tout cela sera indélébile. Avant de m’endormir, je repense à tout ce qu’on a pu vivre,  pendant deux courtes semaines. Je repense à ces choses si belles qu’il m’a dîtes : ses murmures pendant l’amour, ses «Je t’aime » dont je ne me suis jamais passée. Je repense à tant de choses encore. Comment si peu de temps peut autant m’anéantir ? Je ne sais plus, je ne comprends plus. C’est trempée de larmes et baignée dans les doutes que je m’assoupis… Il y a peu d’autres choses à faire un soir pareil.

La nuit a été courte et sans rêve. Je me coiffe devant le miroir et j’ai peur de moi. Mon visage semble vidé de toute lueur de bonheur et mes yeux sont encore en pleurs. C’est comme si tout à coup, j’étais étrangère à tout ce qui m’entoure. Etrangère à Cem, à la bande, aux joints, à la brosse que je tiens dans la main et à moi-même. Balzac disait que le bonheur est une bulle de savon. Je vois justement cette bulle s’envoler, m’échapper comme si l’émanation l’avait emportée avec elle. Mes mouvements sont encore endormis, alors j’arrive au lycée en retard. Il n’y avait plus de place alors je me suis assise à côté d’Anna, qui travaillait dans le fond du labo. Son expression s’étonne quand je m’installe près d’elle mais elle ne dit rien.

« On est en train de corriger l’exercice 4, dit-elle enfin.

-Merci beaucoup.Ca va ?

-J’essaie d’aller bien.

-Moi aussi.

-Comment ça ? demande-t-elle perplexe. Tu as une bande d’amis super cool.

-Oui, je sais mais depuis que Kurt…

-C’est bon j’ai compris.

Elle semble un peu fâchée tout à coup. Ses lèvres sont pincées et ses sourcils froncés, comme si elle réfléchissait ou comme si elle se retenait de pleurer.

-Je suis désolée…

-Ce n’est rien. A force, j’ai l’habitude de me faire marcher dessus. Mais cette fois-ci je me suis carrément fait piétiner. J’ai même plus la force de pleurer, je ne peux plus que qu’espérer.

- Tu en veux à Adèle?

-Non. Je n’en veux à personne, même pas aux gens qui m’ont frappée au collège.

-Tu es quelqu’un de bien.

-Cela m’étonnerait.

-Pourquoi ?

-Les gens s’intéresseraient à moi si j’étais quelqu’un de bien. »

Ses paroles impassibles où chaque mot est pesé reflètent des années de solitude, d’incompréhension et de force.  Mon malheur est bien petit face au sien, je m’apitoie toujours pour rien. Et puis même si Cem ne m’aimait plus, je ne serais pas toute seule, nous sommes une bande de six amis. Nous passons le reste de l’heure à papoter à propos de Kurt sans même écouter le cours. Malgré qu’elle « n’en veuille à personne », on voit bien que Kurt l’a blessée. Derrière sa carapace forgée face aux moqueries se trouve un cœur frêle qui ne demande qu’amour. Sous ses grands airs elle est inoffensive, elle est un petit oiseau agonisant touché par une flèche.

Tout le monde porte un masque de toute façon, personne n’est ce que l’on croit qu’il est.

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