Menthe à l'eau

Chapitre 15 : «D'intérieur et d'extérieur.»

Narratrice : Adèle.

Son regard charbonneux me toise méchamment. Cela n’aurait pas dû m’étonner. Le frêle oisillon qu’elle était quand je l’ai connue a bien grandi.  Il a suffi de peu de temps, pourtant. Et maintenant c’est moi qui n’ose pas la regarder dans les yeux. Ses jambes sont croisées et s’agitent d’impatience.

« Pourquoi as-tu voulu me voir ? dit-elle enfin.

Je me tourne la langue dans la bouche. Je n’ai pas de raison précise pour l’avoir convoquée sur ce banc. Je vais passer pour l’imbécile.

   -Comment vas-tu ces derniers temps ma petite Anna ? Cela fait longtemps que je n’ai pas eu le plaisir de te parler.

    -Tu es ridicule.

Sa répartie me surprend. Il n’y a pas si longtemps, ses mots avaient du mal à s’enchaîner, ils étaient las et inaudibles. Qu’est-ce qui a pu provoquer un tel changement, le délaissement ?

    -Tu as bien changé.

    -Tu ne m’as jamais connue.

Le soleil d’automne lui fait plisser les yeux.

    -D’où te vient cette toute nouvelle assurance ?

   -D’un endroit que tu ne connais pas.

    -A quoi est-ce que tu joues ?

    -Je n’ai pas envie de te parler. Tu n’as rien à me dire qui me vaille la peine de rester ici.

   -Allons droit au but dans ce cas… tu sais peut-être que Kurt m’a plaquée ce matin ? Oui évidemment que tu le sais… ça a fait fureur aujourd’hui… ta pauvre petite chatte vierge devait être toute mouillée rien qu’à l’entendre… Retire ce sourire de ta bouche !

Son sourire mesquin disparaît mais ses yeux me menacent  simultanément.

   -Il devait certainement commencer à s’agacer de toi.

Ses lèvres se retroussent une seconde fois. Elle est belle. Elle sublime, assise sur ce banc. Sa chevelure brune brille au soleil.

   -Tu te veux vraiment que je te cogne avant qu’on ait fini la conversation en fait ! T’es devenue encore plus pute qu’avant !

   -Tu t’exprimes vraiment sans réfléchir, me coupe-t-elle, sans aucune logique. Tu me traites de pute alors qu’il y a deux secondes, tu disais il me semble que « ma pauvre petite chatte vierge devait être toute mouillée ». Ça ne m’étonne même pas que Kurt t’aie laissée tomber, tu vois. T’es tellement bête, ridicule. T’es un mouton qui bêle avec un legging de zèbre. T’es vulgaire, tu te caches derrière des tonnes de poudre pour qu’on ne voie pas tes boutons mais ça te rend bien plus vilaine. Faut arrêter ce cirque, y’en a marre, y’en a marre sérieux. Ouais ok, ok je suis vierge mais écoute, j’ai plus ouvert de livres que mes jambes pour l’instant et quand je te vois, bah je ne regrette pas. Quel avenir, quelles opportunités s’offrent à toi tant qu’t’es là ? T’as que quinze ans, ah non pardon, seize ! C’est vrai qu’il y a beaucoup de différence. Ta vie c’est le fric, ta vie c’est les gens qu’t’utilises. Mais un jour, un jour viendra où tu te retrouveras seule parce que plus personne ne te supportera. Tu me diras peut-être que moi j’le suis déjà, toute seule. Cependant moi j’ai été vraie. Je ne me suis jamais cachée, je n’ai jamais menti et on m’a toujours craché à la gueule. Je n’ai utilisé personne. Ça fait longtemps que j’attends patiemment que beaux jours arrivent. Toi t’es plus belle, t’as une grande babelle, t’as de grandes jambes et un beau sourire et voilà, voilà que tout le monde tombe sous ton charme alors que t’es moche en fait, t’es hideuse d’intérieur. T’es hideuse de dessous ton fond de teint. Ouais moi aussi j’me maquille parce que sans ça de toute façon personne te trouve belle, personne te trouve normale. Mais moi je ne l’utilise pas ça comme un masque putain tu comprends ça ? Pour toi la vie c’est le carnaval, on enfile son masque le matin, on le retire le soir avec du démaquillant et puis voilà, voilà ce que c’est la vie pour toi. Rien que ça. Le pauvre Kurt. Il te croyait certainement vraie. Il est tombé dans ton panneau, lui aussi. Mais tu commences à agacer tout le monde, tu comprends ? Même monsieur Grey ne te supporte plus alors qu’il ne te voit que 4 heures par semaine ! Kurt il n’est pas ce qu’il laisse percevoir. On dirait que tu ne le connais même pas, que tu ne l’as même pas compris alors que tu l’as eu dans ton lit comme tant d’autres ! Mais bon dieu, ouvre les yeux !