Chapitre 12 : «Elle sentait l'odeur des mamans»

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Narrateur : Kurt.

Une semaine que ce portrait revient, encore et encore. Cette dame qui semblait attendre quelqu’un, qui me rappelait étrangement maman. Dès que je repense à son état piteux et à la fatigue de ses traits je suis un peu plus persuadé que c’est vraiment elle que j’ai croisé.

Quand j’avais six ou sept ans, mes parents se disputaient souvent mais ma petite maman était toujours douce avec moi. Des fois elle m’achetait des paquets d’autocollants Panini et ça me faisait plaisir. Elle sentait l’odeur des mamans, indescriptible et irremplaçable. A partir d’un moment, sa présence s’est faite plus rare à la maison, elle se disait trop occupée par le travail. Elle travaillait comme secrétaire dans une entreprise, je ne me souviens plus laquelle mais elle tapait à une allure folle sur le clavier de notre vieil ordinateur, et à l’époque ça m’épatait. Un jour elle est partie. Je pensais que c’était mon père qu’elle n’aimait plus, qu’elle quittait pour un autre. Je  pensais que l’amour conjugal pouvait s’arrêter mais l’amour maternel, restait à jamais… J’ai appris plus tard que l’homme chez qui elle a déménagé était un divorcé qui avait 4 filles. Je pense que c’était une femme trop prétentieuse, qui cherchait à combler son bonheur avant celui de son fils unique.

Je ne l’avais jamais revue. Elle ne m’a jamais donné de carte à Noël, de coup de fil à mon anniversaire. Aucun signe de vie. Ses nouvelles petites chéries devaient certainement trop l’occuper, elle devait m’avoir oublié. Il paraît que ma mère n’a jamais voulu avoir de garçon, qu’elle rêvait d’avoir une petite fille.

Papa m’a rarement parlé d’elle. Après son départ, il a pleuré très longtemps et il a abandonné le travail. J’entendais ses sanglots à travers les murs fins jour et nuit. J’avais six ou sept ans et je devais vivre seul. J’essayais de me cuire des spaghettis comme maman le faisait mais ils ressemblaient  à une purée écœurante de pâtes et de beurre. J’apportais des assiettes à mon père en piètre cuisinier. Il mangeait toujours tout d’une traite alors j’étais rassuré. Mon père a commencé à devenir bizarre deux mois environ après le départ de maman. Il ne pleurait plus, j’avais même l’impression qu’il ne vivait même plus car il semblait toujours être un peu endormi lorsqu’il était debout. Je me souviendrais toujours de la fois où j’ai apporté une part de pizza à mon père que j’avais achetée avec un billet de cinq euros que j’avais trouvé dans un tiroir. J’étais entré dans sa chambre où une odeur répugnante empestait. J’ai posé l’assiette fumante sur sa table de nuit et j’ai ouvert le volet. Il était allongé sur le dos, avec les mains posées sur le ventre, regardant le plafond de son regard aux pupilles énormes. Je ne comprenais pas à l’époque, j’étais bien trop naïf. Une fois, j’avais retrouvé une seringue sur son lit  et j’ai cru que papa avait été engagé dans un travail à l’hôpital et ne me l’avait pas dit pour me faire une surprise.  Tel père tel fils.

Aujourd’hui c’est samedi et j’ai prévu de voir Anna. Nous nous sommes donné rendez-vous à quatorze heures au manège de la grande place, qui n’est pas très loin de chez moi ni du lycée. Je suis arrivé plus tôt afin que ce ne soit pas elle qui m‘attende. C’est de la galanterie. Anna est, je pense, le genre de fille qui arrive à l’heure tapante, à la première sonnerie de l’église. Il est moins cinq et la musique du carrousel est très fatigante. Je préfère de loin le fond musical du Meanwhile qui lui donne une ambiance bien flippante. Je vois mon amie sortir de la petite librairie papeterie en face de moi. Elle range un petit paquet dans son sac et s’avance vers moi, tout sourire.

« Salut ! Ça va ? Désolée je suis en retard, j’ai perdu la notion du temps dans cette connerie de boutique… dit-elle en regardant sa montre. Eh non ! Il est treize heures cinquante-neuf !

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