Chapitre 14 : «Rien n'est éternel»

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Narratrice : Salomé.

J’ai l l’impression d’être un tas de pâte à modeler. Un tas avant tout mais de pâte grasse surtout. Comme si l’esprit divin qui m’avait créée s’amusait tout à coup en me déformant les cuisses puis en pétrissant mon ventre. Cet enfer ne semble pas avoir de fin. Je n’aperçois aucune lumière du trou dans lequel je suis tombée. Autrefois on m’a fait don d’un corps sculpté on ne peut plus normalement, mis à part la petite touche enjouée qui avait été appliquée comme une signature au niveau de mon nez. Il y a quelques semaines (ou quelques mois, je ne sais plus), mon corps a été mis à l’épreuve. Bien qu’affaibli, il continuait à marcher lentement mais sûrement. Cem a piétiné la petite chose qu’il était et depuis, il n’est plus qu’un tas de poussière se dérobant sous ses pas.

J’avais toujours été une fille « normale » si la normalité existe. Ni trop mince ni trop ronde, ni trop petite ni trop grande. J’étais quelque chose d’heureux dans tous les cas. Quoi ? Je ne sais pas mais je pense avoir été un récipient. Un récipient de bonheur. Et celui-ci ne cessait d’être alimenté. Cependant maintenant il est vide et on ne s’intéresse plus à lui. Une pauvre bouteille vide ! Ce qui nous intéressait c’était son contenu, pas son pauvre corps ! Alors on la jette à la poubelle puisqu’elle n’a plus de valeur. Parce qu’elle ne sert plus à rien.

Je suis placée devant le miroir de ma chambre, antiquité héritée de ma grand-mère qui donne un air vintage à ma chambre. Qu’est-ce que fais plantée là ? Je me regarde. Non je m’inspecte  au peigne fin, à la loupe. Je ne vaux plus la peine d’être regardée. Du moins pas encore. Je cherche l’imperfection à gommer tout au long de mon corps, la cellulite à éliminer. Et même si mon corps se fait de plus en plus filiforme, je trouve toujours à redire sur lui. Face à cet objet diabolique, je me trouve toujours aussi répugnante. J’ai envie d’hurler, de m’arracher le visage, le corps tout entier tant qu’on y est.  J’ai cette irrépressible envie de détester la bouffe comme je déteste la vie et ses farces. Pourtant dans les coups bas elle se révèle être ma meilleure amie. Quand nous sommes à table avec mes parents et mon frère, quand je vois tout ce gras déborder des saucisses, je n’ai qu’une envie : dégueuler ! Et pourtant elle me fait tellement envie, elle est si mignonne à m’attendre dans sa casserole… Quand je repense à cette époque durant laquelle je mangeais le Nutella à la petite cuiller, je ne sais pas ce que je ressens, si c’est de la nostalgie ou du dégout. 

Je ne suis plus la même je crois. Depuis cette semaine qui m’a semblé être des années, j’ai les pensées au point le plus haut et la force au plus bas. Parce que je n’ai plus faim. J’ai l’impression que personne n’entend mes cris intérieurs, mes entrailles qui hurlent de faim et moi qui hurle de colère. Parce que je ne comprends plus le monde. C’était Cem qui m’apportait la lumière tous les jours, la joie de vivre. Oh, la vie est bien triste sans lui. L’amour, c’est parfois laisser partir l’aimé aussi. Mais je suis trop égoïste, je le veux pour moi seule pour l’éternité. Et lui m’aime ! Et je lui ai refusé une deuxième chance. Quand l’amour meurt il ne peut jamais revivre. Il ne faut jamais se laisser croire qu’il peut y avoir une deuxième fois. La vie n’offre aucun joker. La vie est courte et oublier prend du temps mais j’oublierai. Et plus tard je rirai de moi-même pour avoir souffert de par si peu. J’ai oublié tellement de choses importantes que mon premier amour ne sera qu’une petite chose parmi tout ce que mon cerveau a pu assimiler depuis tant d’années.  

Je vais à l’école en avance, ce matin. D’une part pour m’empêcher de manger mais aussi pour être la première à fumer. Parce que ce matin j’en ai plus envie qu’aucun autre. J’étais stupide de me méfier de ce « paradis artificiel » il n’y a pas si longtemps. Maintenant je n’ai envie que de lui. Partir d’ici, parce que là-bas Cem n’existe pas.

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