☆ Chapitre 4 ☆

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*Estella*

  Quand Blanche ouvrit la porte ouvragée qui se dressait devant nous, je restai bouche bée.

  ― Ta chambre ! lança-t-elle joyeusement !

  ― Ma chambre ?! Mais... Elle est immense ! fis-je, ébahie.

  ― Tu n'as pas vu la mienne, s'amusa Blanche. Elle est deux fois plus grande !

  ― Whaw... murmurai-je

  Elle laissa échapper un rire cristallin et proposa:

  ― Allons visiter le reste de la maison, ça te sera bien utile pour ne pas te perdre !

  Je la suivis donc dans le dédale de couloirs, de halls et d'escaliers, jusqu'à ce que nous pénétrions dans une jolie salle à l'atmosphère confinée et chaleureuse, meublée de fauteuils de velour écarlate disposés autour de la cheminée. Et dans l'un d'eux, se trouvait Monsieur Selanne.

  ― Bienvenue dans le Fumoir, fit-il, l'air plus serein qu'un peu plus tôt.

  ― Merci beaucoup, Monsieur, répondis-je timidement.

  ― Tiens, puisque tu es là, va me chercher un verre de whisky, ordonna le maître de maison.

  ― Tout de suite, Monsieur.

  Après être allée chercher la commende de Monsieur Selanne à la cuisine, et découvert par la même occasion qu'il n'était pas si difficile de s'orienter dans cette demeure, je retournai au Fumoir. J'entrai et, alors que je me dirigeais vers le siège du père de Blanche, je trébuchai sur le tapis et faillis renverser le whisky.

  Un sourire sarcastique aux lèvres, Monsieur Selanne se tourna vers sa fille et ricana:

  ― Eh bien ! Nous aurions peut-être dû choisir une jeune fille possédant un peu plus de tenue ! Ce whisky est extrêmement cher, et cette demoiselle aurait bien pu me gaspiller un bon verre.

  D'un geste nonchalant agrémenté d'un rictus méprisant, il m'indiqua de quitter la pièce.

  Alors que, la tête basse, je m'apprêtais à sortir, je remarquai une légère bosse sous le tapis, à l'endroit même où je m'étais encoublée un peu plus tôt. J'aurais pu jurer qu'il ne s'y trouvait pas à notre arrivée, à Blanche et à moi. Il n'y avait qu'une possibilité: on avait intentionnellement placé là un objet pendant mon absence.

  Je jetai un coup d'œil au visage empreint d'une satisfaction non dissimulée de Monsieur Selanne, et je sus que j'avais deviné juste: pour une raison qui me dépassait, cet homme ne m'aimais pas, ou plutôt me détestait cordialement. Était-ce uniquement à cause de ma classe sociale très basse, ou y avait-il une autre raison ?

  Je m'inclinai et sortit de la pièce, suivie de Blanche.

  À peine dans le couloir, cette dernière confirma mes soupçons:

  ― Je suis désolée, je n'ai rien pu faire... Il... Je ne sais pas ce qu'il a contre toi, il souhaite peut-être simplement te mettre à l'épreuve, mais... Je ne suis pas d'accord avec lui, et pourtant, je ne peux rien dire. C'est mon père je lui doit le respect et l'obéissance...

  ― Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle, ce n'est pas si grave...

  ― Laisse tomber le Mademoiselle, appelle-moi simplement Blanche ! m'interrompit cette dernière.

  ― Oh... Je... D'accord, Blanche... Je vous disais que...

  ― Laisse aussi tomber le "vous"! N'utilise cela que devant mes parents. En ce qui me concerne, je déteste être vouvoyée par une personne du même âge que moi !

  ― B... Bien, fis-je, surprise.

  ― Eh bien oui, si je peux t'appeler Stella, tu peux bien faire ça ! lança-t-elle, malicieuse, en s'élançant dans le couloir, au mépris des regards peu avenant de certain domestiques aux esprits sans doute bien trop étriqués.

  Il faut dire que Blanche n'était pas vraiment conforme à l'idée que l'on se faisait d'une jeune demoiselle de bonne famille. Mais c'était l'une des choses que j'aimais chez elle.

  Je la suivis donc, bien que plus calmement, pour la suite de la visite, un sourire heureux aux lèvres.

  Cela faisait maintenant un mois que je travaillais chez les Selanne.
J'avais fini par m'habituer à cette grande maison labyrinthique, aux regards dépourvus de bienveillance des adultes Selanne, à Blanche, à la routine...

  Chaque matin, excepté le dimanche, où nous nous rendions tous à l'église, pour la messe, je me levais vers cinq heures, je m'habillais, je me chargeais de quelques préparations pour la journée et à huit heures moins le quart, je me rendais aux cuisines chercher le petit-déjeuner pour l'amener à Blanche dans sa chambre. Puis je l'aidais à faire sa toilette et à se vêtir à son tour. Ensuite, je la laissais partir à ses cours particuliers avec des précepteurs spécialisés et à toutes ces séances de couture et de broderie avec sa mère.

  Pendant ce temps, je m'occupais de tâches ménagères, j'aidais à la cuisine, je faisais la vaisselle, je passais la poussière dans la chambre de Blanche, et cetera.

  À midi, je mangeais avec les autres domestiques, me tenant prête à tout moment au cas où on aurait besoin de moi.

  Et puis, c'était repartit pour cinq heures de cours pour Blanche, et le même temps de travail pour moi. Il y avait toujours quelque chose à faire, et j'étais à la limite du surmenage, mais je m'en accommodais fort bien.

  Ensuite, vers cinq heures et demie, j'assistais à la leçon de piano de ma maîtresse.

  Et enfin, une heure plus tard, après le goûter, nous étions toutes deux libres jusqu'au repas du soir qui se déroulait à sept heures et quart précises, et je pouvais enfin souffler.

  Pendant ce moment de repos, j'écrivais à mon père, lui relatant ma vie ici et lui demandant de ses nouvelles. La première partie de ma paie était arrivée, heureusement, juste à temps.Il parvenait à subsister à ses besoins, bien que difficilement, et se réjouissait que tout aille bien pour moi.

  Après le temps libre, le dîner, qui se déroulait la plupart du temps dans la grande salle à manger. Parfois, la famille accueillait des invités, riches, importants ou prestigieux pour la plupart. Dans ces cas-là, je devais remplir également le rôle de serveuse, car les plats devaient être amenés rapidement à table, sous peine de refroidir.

  À vingt heures et trente, nous étions toutes deux au lit, Blanche et moi. Ma chambre communiquant avec la sienne, nous conversions parfois bien après l'heure convenue par Monsieur et Madame Selanne. Nous nous amusions beaucoup, parlant tantôt de l'actualité, de nos activités de la journée, d'anecdotes amusantes... J'appréciais beaucoup Blanche et je crois qu'elle me retournait ce sentiment, déjà à cette époque.

  Je n'avais peut-être pas une vie idéale, mais j'étais heureuse.

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