☆ Chapitre 5 ☆

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*Blanche*

  ― Réveille-toi! Le petit-déjeuner est servi!

  La voix d'Estella me tira de mon profond sommeil. Je frottai mes yeux encore tout endormis.

  Elle était penchée sur moi, le plateau du petit-déjeuner dans les mains. Je lui sourit. Elle était vraiment une excellente demoiselle de compagnie. Elle remplissait à la perfection toutes les tâches qu'elle accomplissait.

  ― Bonjour ! Tu vas bien?

  ― Oui, oui ! Et toi?

  ― À merveille!

  Au bout d'un mois et demi, cette routine matinale s'était bien ancrée, et chaque matin, je me réveillais joyeuse. Tout allait bien. C'était l'époque où les ennuis ne s'étaient pas encore installés. Même le comportement de mes parents envers Stella s'était amélioré; ma mère commençait presque à l'apprécier, et mon père se comportait cordialement, bien que froidement avec elle, et ne faisait plus de tentatives pour l'humilier ou trouver une raison de la renvoyer.

  Ce jour-là, d'ailleurs, après mes cours du matin, j'eus la surprise de la trouver en compagnie de ma mère qui s'employait à lui enseigner le tricot. Voyant mon air stupéfait, Marguerite expliqua de son habituel ton hautain:

  ― Tu te rends compte, Blanche, on ne le lui avait jamais enseigné! Sa mère est décédée avant d'avoir pu lui apprendre à tricoter... Pauvre chérie...

  J'eus alors le grand étonnement de constater que, contre toute attente, ma demoiselle de compagnie était l'une des seules personnes dont l'histoire parvenait à émouvoir le cœur de pierre de ma mère. Suite à l'insistance de celle-ci, mon père avait même accepté que Stella mange avec nous. Je n'en revenais pas. Le changement était stupéfiant. Mais Marguerite semblait beaucoup apprécier Estella et mon père semblait ne pas vouloir la contrarier. Ou peut-être était-ce pour la garder à l'œil? Mais pourquoi? Non, il n'y avait vraiment aucune raison valable à cet étrange comportement. Pas plus qu'il y en avait à la haine manifestée à son égard auparavant.

  Je n'avais pas cours cet après-midi, et comme ma mère souhaitait poursuivre son cours de tricot avec Stella, je me retrouvai à errer seule dans les couloirs. Et par hasard, je passai devant le cabinet de travail de mon père. Je me souvins qu'il avait oublié de me rendre la plume qu'il m'avait emprunté la veille. J'entrai donc, dans l'espoir de le trouver là.

  La pièce était assez peu meublée. Une cheminée, quelques étagères, des cadres dorés au mur, et bien sûr, un bureau. J'aimais beaucoup cette endroit. Ils sentait bon le papier, l'encre et le travail.

  Pas trace de mon père. En revanche, je n'eus pas de peine à trouver, posée bien en évidence sur le bureau, ma plume. Je la pris et la rangeai dans une poche de ma robe.
J'allais partir, quand une pensée me traversa l'esprit.

  Mon père conservait la plupart de ses affaires personnelles dans son cabinet de travail, depuis que, étant petite, j'avais détruit les quelques photographies de son mariage avec ma mère.

  Je me souviens très bien de cet épisode, car il m'avait été narré de nombreuses fois.
Je devais avoir un an et demi, et ma nourrice m'avait posée sur son lit pour me donner la tétée. Elle s'était absentée, pour une raison quelconque, et j'étais restée là. J'avais sans doute dû voir la boîte de photographies qui m'avait intriguée.

  Toujours est-il que quand ma nourrice était revenue, quelques minutes plus tard, tous les clichés étaient déchirés et enduits de bave...

  À compter de ce jour, mon père ne rangea plus jamais ses biens dans sa chambre, et même maintenant que je n'y vais presque plus, il les garde toujours ici.

  Je songeai donc que si il y avait une explication écrite attestant de son étrange comportement envers Estella, elle devait se trouver quelque part dans cette pièce.
  C'était peut-être stupide, mais je voulais savoir.

  Je commençai donc à fouiller sous les piles de papiers, de dossiers, de notes... Rien.
  Les étagères furent les suivantes sur ma liste. Je prenais garde de ne rien changer à la disposition originelle de toute chose que j'examinais.
  Je jetais des coups d'œil fréquents vers la porte, pour vérifier que mon père n'arrivait pas, mais il était sans doute occupé ailleurs. Il ne vint pas.

  Après une vingtaine de minutes, je n'avais toujours rien trouvé, et je commençais sérieusement à m'interroger sur la probabilité qu'un tel document existât bel et bien. Quand soudain, je remarquai un petit meuble qui n'avait pas encore subi ma perquisition. Je tentai de l'ouvrir, mais le tiroir refusait de bouger. Alors, je me souvint de la petite clé que j'avais aperçue en fouillant le bureau. Je l'introduisis dans la petite serrure, à peine visible au coin du tiroir, et je l'ouvris.

  Miracle ! À l'intérieur, une liasse de papiers, plus ou moins reliés. Ils était en très mauvais état. Déchirés, même mouillés par endroits. Et le premier mot que je parvins à lire fut le nom d'Estella.

  Une chose était sûre, ce n'était pas des papiers administratifs. Mon père ne les aurait jamais cachés et protégés ainsi.

  Je me dépêchai de refermer le tiroir, de remettre la clé en place, et je sortis en referment délicatement la porte du cabinet de travail derrière moi.

  Une fois dans ma chambre, j'examinai plus attentivement mon butin. Je le retournai quelques fois, le feuilletai, et tout d'un coup, je compris: il s'agissait d'un journal. Mon père tenait un journal !

  Je me levai rapidement et dissimulai la liasse de papier dans mon armoire.
  Je devais rejoindre Stella.

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