11. Alors, les raser?

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    Je finis par me calmer. Les deux garçons étaient marrants tant ils paraissaient mal à l'aise à mon désarroi. Ils étaient tellement gauches dans leurs tentatives de me venir en aide. Cela m'avait arraché un premier sourire. Je souriais encore en serrant mes doigts sur un chocolat chaud blanc ― dont une poche de thé chai s'y infusait ― que Nico avait préparé. Une délicieuse odeur émanait de la tasse, me réconfortant. C'était chaud et crémeux sur ma langue alors que je prenais une première gorgée. Nicolaï me connaissait mieux que moi-même : je présumais que nous étions longuement côtoyés, bien avant l'hôpital. En tant que voisin, il était très sympathique et c'est moi qui avait été timide de ne pas avoir voulu accepter son amitié.

    Maintenant, j'étais prête à le faire, m'autorisant cet attachement dans ma vie si indépendante. Et j'étais prête à lui accorder une confiance aveugle. Je bloquais toute tentative à mon mental de me faire douter de ce constat: ça me ramenait vers un gouffre si sombre d'une partie de moi que je n'étais pas prête à affronter. 

    De plus, une partie de mon équilibre mental avait besoin d'un point d'ancrage dans le bazar qu'était devenu ma vie.

   Je relevais mes yeux pour observer l'imperturbalité de Jeb s'effriter tandis qu'il me lançait quelques regards. Cela aussi m'amusait malgré la situation paradoxale dans laquelle nous étions. Il évita mon regard en jetant un œil à son portable avant qu'il ne décide de sortir du bureau, sans rien dire. Je lâchais un petit rire avant de déguster ma boisson chaude. Une étrange fatigue me saisit, sans doute lié à ma crise de tout à l'heure. Je me sentais vidée de toute mon énergie. 

    Mon regard se perdit sur la pièce : les murs clairs étaient tapissés d'affiches de personnages de jeux vidéo tels Mario et ses compagnons, Sonic et ses amis, Pokémon, Ratchet avec son acolyte Clank. C'était les personnages des jeux auxquels je jouais sur mes deux seules consoles de jeux: Nintendo 64 et Playstation 3. Sur le côté gauche de ma position, deux classeurs et une imprimante rappelaient qu'on se trouvait dans le bureau du patron d'un magasin. Rien ne laissait réellement présager que Nicolaï était un initié des arts martiaux et de la magie des légendes celtiques. Malgré le lien évident qui me sauta aux yeux que maintenant: son jeu favoris était Zelda. Plusieurs artefacts du jeu avaient répliqué en format nature. Ou alors, ces objets étaient des vrais et ils étaient là bien le jeu vidéos.

   Tous ces indices qui semblaient me narguer tant ils pouvaient prouver ce que mon côté rationnel ne pouvait contredire, que cette même partie de moi pouvait les voir comme de simples coïncidences. 

    Une main se posa sur mon genou, me tirant de mon alanguissement. Je levais mon regard sur Nicolaï qui semblait chercher quelque chose dans mon regard.

Une blessure qui pourrait me guérir.

    Je lui adressais un sourire, espérant ainsi le rassurer. Lui comme moi savions que c'était trop compliqué pour moi. Ce que j'avais éprouvé… Je n'étais pas prête à y faire face. La simple pensée de cette sensation que mon esprit se fracassait tel du cristal crispa mon être entier.

   Ce dernier finit par sourire et me tendit un bout de papier avec une série de chiffres.

      - Si tu as besoin de quoique ce soit, appelle-moi sur ce numéro. Je ferai tout ce que je peux pour t'aider. 

      - Merci beaucoup, Nico… Et… Appelle-moi Keyah. Je veux reprendre mon identité. Un pas à la fois.

   Mon nouvel ami de confiance m'offrit un vrai sourire en tapotant mon genou. Il se redressa et m'annonça:

    - Je te laisse seule; je dois vérifier un truc dans la boutique. Le clébard devrait revenir dans quelques minutes.

  

   Je ne le regardais pas sortir, pressentant que Jeb n'osait pas entrer. Je sentis une hésitation dans l'air avant qu'il finisse par venir me rejoindre. Il me regarda sans rien dire. Je la sentais sa question silencieuse. Qu'est-ce que j'avais vu?

    - Je ne peux rien te dire… Pas maintenant. Je n'y arrive pas.

   Jeb demeurait silencieux, ce qui m'incitait à relever mon regard sur lui. Mais ce dernier avait le visage tourné, ramassant un gros vêtement noir à capuche sur le bureau derrière lui. Il semblait chaud tant il était grand.

        - C'est pour toi; le temps s'est rafraîchi dehors.

      - … Tu as raison, finis-je par souffler en réceptionnant le vêtement. Un peu de soleil me fera du bien

   Je me glissais dans le chandail à capuche qui était si ample autour de moi qu'il recouvrait mes fesses et mes mains. Je fis des ourlets aux poignets en me redressant après avoir déposé la tasse vidée de son contenu. Puis je libérais ma chevelure qui m'arrivait au milieu du dos. C'est ladite chevelure dont les ciseaux ne se sont pas approchés depuis mon réveil de l'hôpital.

     - Dis Jeb, tu n'aurais pas un élastique à cheveux?

  Ce dernier se tourna vers moi en fronçant les sourcils:

     - Si tes cheveux te dérangent, je peux les couper.

   Il mimait des ciseaux proches de mes cheveux. Malgré que je savais pertinemment qu'il ne pouvait pas réellement me les couper, j'esquivais sa main en grommelant.

     - Non! 

     - Alors, les raser?

  Je poussais un grognement en le voyant me narguer ouvertement. Ce dernier rit doucement en saisissant une sorte de cordelette pour me la tendre.

      - Alors, débrouille-toi avec ceci et allons-y.

    Il me planta là dès que je saisis la cordelette pour sortir du bureau de Nicolaï. J'analysais rapidement pour comprendre qu'elle était faite en cuir avec des billes blanches. Ça ressemblait aux élastiques de type New Age qu'on pouvait trouver dans les boutiques qui répliquaient des articles des époques avant le Moyen-Âge.

    Je parvins à faire une toque avant de m'élancer hors du bureau. Je fis une halte pour remercier Nico. D'une manière inconsciente, je lui embrassais la joue. Ce qui nous surprit autant l'un que l'autre. Rapidement, je me sauvais en ignorant le feu qui me montait au visage. Je rejoingnis Jeb qui patientait près de l'entrée, regardant son téléphone avec nonchalance.

    Il releva ses yeux sur moi avant même que j'arrive. Il fit quelques pas vers moi avant de saisir doucement mon bras. Je sentis une nouvelle déflagration dans mes joues tandis qu'il se pencha vers moi.

    - Reste calme et suis-moi: nous sommes suivis.

     J'écarquillais les yeux, mais je n'opposai aucune résistance sous sa douce poigne. Il regarda devant lui avec tant de sérieux que ça ne collait pas avec sa démarche détendue. Ce dernier aurait pu devenir acteur, j'étais prête à y mettre ma main au feu. 

     Je me tournais légèrement ma tête vers lui en me collant timidement contre lui, espérant embarquer dans la comédie de Jeb. 

      - Mais… Qu'allons-nous faire avec notre… invité?

      -  Eh bien, nous allons l'inciter à s'approcher.

     Je ne sais pas pourquoi, mais son ton de voix ne me rassura pas: il semblait trouver cette situation très divertissante. 

Cait Sidh 1: l'ignorance tue (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant