Cait Sidh 1: l'ignorance tue (PAUSE)

21. Six jours ont passés?

Ce réveil-ci, je me sentais mieux. La fièvre était enfin tombée, et le garçon était réveillé. C'est ainsi que je le découvris à faire chauffer de l'eau. Il vint me voir pour me faire boire une boisson avec un peu d'eau chaude. L'odeur me piqua le nez, me faisant penser à un médicament. Mes lèvres se pincèrent, un début de dégoût se manifesta. Le Yeti a dû me le verser dans la bouche avec la sienne. Ses lèvres chaudes recouvraient la mienne tandis qu'il expulsait la boisson tiède dans ma bouche. Mes yeux se fermaient d'eux-même, surpris par ces sensations sur ma bouche humaine. Sa main caressa ma gorge pour me faire déglutir. Le tournis recommença à envahir mes sens, me faisant perdre momentanément le fil du présent. 

Plus tard, je repris conscience en position semi-assise pour découvrir mon protecteur dos à moi. Je me tournais vers le garçon qui faisait la cuisine. J'inspirais bruyamment qu'il sursauta pour jeter un coup d'œil. Il me fit un petit sourire en me déclarant:

       - Je vois que tu vas beaucoup mieux.

       - Qui es-tu?

J'avais légèrement penché ma tête pour observer notre environnement sans malaise. Certains souvenirs flous se concrétisaient en assemblant le puzzle. La grotte était très spacieuse, s'enfonçant sans doute un peu dans le sol pour permettre une telle hauteur de plafond. Elle était très bien aménagée, démontrant que ce devait être sa tanière. Je reconnus les découpages d'une civilisation ancestrale, mais oubliée de cette époque. Je le regardais et quelque chose en lui m'intriguait. N'ayant toujours pas répondu à ma question, ce dernier s'était contenté de s'asseoir proche de moi avec une tasse fumante: du thé?

Il installa le récipient entre mes mains, la relâchant lorsque mes doigts s'étaient solidement ancrés autour. Il prit le temps de soulever lentement mon menton pour observer mon cou. Il sembla être content de ce qu'il voyait au son des «mmh mmh» qu'il marmonnait. Il me relâcha pour remettre une certaine distance entre nous.
Je pris une première gorgée, sans le lâcher du regard. J'étais très curieuse à son sujet. Après tout, la guerre des cultes avait commencé dans ce coin du monde : comment allait ma maîtresse? Je soupirais en regardant à l'extérieur de la grotte, désolée par cette guerre inutile.

       - Je m'appelle Jebediah, et toi?

       - … Keyah.

Ce dernier me regarda, surpris par mon prénom. Je souris, toujours amusé par la réaction des gens. En l'observant, je remarquais son teint ainsi que ses traits: il n'était pas natif d'ici. Je me tournais vers lui pour lui demander franchement:

        - Tu es du peuple des Chasseurs de daïmons, alors pourquoi m'avoir sauvé? 

       - Mes origines ne décident pas qui je suis. Tu devrais bientôt être rétablie. 

Je me renfrognais face à son évitement évident de ma question. Je gémis tout bas en sentant mon corps se rebeller. Ce dernier soupira avant de se redresser. Il sortit de la grotte, me laissant seule. Le temps qu'il revienne, j'avais terminé la boisson et j'avais réussi à me redresser. Je me vêtis de mon habit qui avait été recousu et séché. Il me découvrit en train de terminer de lacer mon haut.
    Je me tournais vers lui à son entrée pour lui présenter mes remerciements, mais également que je devais partir. Or, je ne m'attendais pas à le voir rester obstinément devant la seule sortie. Par réflexe, mon corps se plaça en position défensive. Ce dernier sourit sans bouger, nullement affecté par ma réaction. Il se contenta de me dire d'un ton faussement doucereux:

        - Cesse cela: tu n'es pas en état de te confronter à moi, petite sorcière.

Mon corps se crispa à l'écoute de son appellation, me rappelant que je n'étais pas tout à fait rétablie. Cela ne m'empêcha pas de rester campée sur mes jambes, sans baisser mon regard. Nous nous regardâmes en chiens faïence, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il commence les hostilités. Un bâton dans ses mains, il se retrouva à ma gauche pour m'asséner un coup derrière les genoux. Surprise, mes jambes fléchirent, or mon corps connaissait la marche à suivre pour ne pas se faire mal. Je fis un roulis-boulis sur le sol pour me virer face à lui. Sauf qu'il n'avait personne à l'endroit où je me tenais un instant plus tôt. 

       - Trop lente.

Un coup à la nuque que je parvins à esquiver en partie. Je parvins à me métamorphoser partiellement la main pour lui infliger un coup de griffes sur son épaule. Mais ce dernier attrapa ma main pour m'immobiliser contre lui. Je me retrouvais bloqué contre lui, l'odeur de son sang m'explosa au visage. Je sentis sa tension, cependant il ne s'empêcha pas de me faire perdre connaissance avec un coup de bâton bien placé.
    La réalité déraillait violemment autour de moi tandis qu'il me murmura:

       - Repose-toi, Caith Sidh, familier de Scáthach. Nous ne sommes pas ennemies.

Le noir m'accueillit brusquement, refermant ses doigts sur ma conscience. Mon esprit s'égara sur des événements antérieurs à ma rencontre avec Jebediah: les chasseurs de Dieux avaient tenté de me noyer dans une rivière gelée. J'avais passé les dernières semaines à préparer mon initiation pour devenir familier de Scáthach, mais ces derniers m'avaient prise pour cible. J'ignorais comme il avait découvert mon affiliation, mais ils m'avaient poursuivis. Les villages aux alentours ne pouvaient m'aider sans avoir eux-mêmes des problèmes. Ainsi, je m'étais retrouvée seule, en forêt. Au début, je pensais avoir l'avantage du terrain, mais ils étaient assez nombreux pour se relayer.
Perdue dans les sensations des souvenirs, je revivais la voyade. Je m'étouffais dans l'eau glaciale, incapable de trouver la surface. Les membres attachés limitaient grandement les possibilités de m'en sortir. Mon corps s'engourdissait à vue d'œil tandis que je me débattais contre les courants puissants de cette rivière. Le souffle me manqua, me faisant avaler cette eau glaciale, brûlant ma gorge et mes poumons. Je me tordis de douleur, combattant la perte de sensation de mon corps.

Mon réveil fut tout aussi brusque que je me jetais sur la première chose face à moi. Mais quelqu'un m'immobilisa les mains pour me plaquer au sol. Le choc me fit reconnecter à la réalité pour découvrir un homme au-dessus de moi. Paniquée, je m'apprêtais à me tortiller sous lui violemment, mais sa voix résonna.

       - Calme-toi, chaton… C'est fini, tu es en sécurité.

Je me figeais alors que les larmes coulaient sur mes joues. Mon corps entier trembla sous l'effet du contrecoup. Il me berça un long moment avant de me recoucher, tout près de lui.
C'est ainsi qu'il prit soin de moi jusqu'à ce que je me rétablisse complètement. Que j'apprenne qu'il était également le familier de Aifé, la sœur de Scáthach. Que nous fîmes chemin ensemble jusqu'à leur royaume respectif. Nous nous entraînâmes ensemble, sous la protection de nos maîtresses.
Le début de cette histoire entre nous.

**************

Le tout se passa si vite que lorsque je repris connaissance, le soleil était très haut dans le ciel. Et Nico sursauta sur sa chaise pliante. Perplexe, je le vis s'agiter avant de se précipiter vers moi. Ses mains se posèrent sur mes bras tandis que ses yeux m'analysaient. C'est là qu'il me questionna affolé:

       -Merde, où étais-tu pendant ces 6 derniers jours…

Quoi, 6 jours étaient passés?