34. L'ignorance tue

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La femme qui nous faisait face était vêtu d'un pantalon bouffant qui finissait par se resserrer autour de sa taille et de ses chevilles. Il semblait fait d'un tissu léger au contraire de son chandail à manche longue qui semblait être moulant. Comparé à sa sœur qui portait une tunique de combat digne de l'antiquité, Scatchy semblait être une bohème. Sa chevelure rousse cuivrée était tressée lâchement et reposait sur son épaule, si différente d'Aifé. Elle dégageait une telle énergie de liberté que cela me saisit, et m'attirait. Et pourtant, son prénom sur le bout de la langue, je ne parvenais pas à le dire.


       - Tu... Tu..., bégayais-je en gardant les yeux vissés sur ses prunelles d'un bleu pâle.

       - Oui...? énonça-t-elle pour m'encourager à finir ma phrase.

       - Tu.. t'appelle... Merde ! Pourquoi je n'arrive pas à dire ton nom ! m'emportai-je en tapant du pied.


Je saisis avec frustration quelques mèches de mes cheveux, rendus lâches. Momentanément déstabilisée de voir mon apparence différente qu'il y a quelques minutes, je fus calmée par la main chaude de Jeb sur ma nuque. Tournant la tête vers ce dernier, je me sentis apaisée par sa présence qui agissait comme une ancre. La voix chaleureuse de celle dont le nom continuait de m'échapper attira à nouveau mon attention:


       - Ce n'est pas grave, Keyah..., me rassura Scatchy, ses prunelles fixés dans les miennes. Prends ton temps...

La voyant sourire, je sentis les larmes envahir mes yeux. Ma tête se mit à m'élancer tandis que des souvenirs diffus me venait, tous apparentés à cette femme. Saisissant mon crâne entre mes mains crispées, je me mis à respirer plus vite. Totalement concentrée sur cette horrible sensation de verre qui crissait, je ne remarquais plus réellement mon environnement. J'entendais un échange de paroles, mais le tout demeurait indistinctes pour mon esprit.


       - Qu'avez-vous fait !? s'exclama rageusement une voix d'homme.

       - Rends-toi utile au lieu de geindre, coupa la voix de femme.

Me surprenant, quelqu'un me frappa de la paume de la main sur mon front. Je me sentis partir vers l'arrière Or, il semblait que je tombais dans un puits sans fin, me faisant hurler de terreur. Puis d'un coup, je me réveillais avec la respiration bloquée dans ma gorge. Ouvrant spontanément les yeux, je croyais même avoir le cœur au bord des lèvres tant j'avais la nausée.

Posant une main fébrile sur ma bouche, je me redressais lentement après avoir refermé les yeux. J'avais la tête qui tournait, me rappelant la sensation du mal de mer. Prenant une lente respiration, j'ouvris prudemment les yeux pour découvrir une scène de théâtre. Hébétée, je fronçais les sourcils en regardant autour de moi. J'étais assise sur un fauteuil au tissu dont la teinte rouge brillante contrastait avec la pénombre du lieu. J'étais au centre, avec la meilleure vue sur la scène qui s'éclairait. Les rideaux rouges n'étaient pas encore levés. C'est là qu'apparut une femme : c'était Scatchy! De plus en plus incrédule, je ne pus que me pencher vers l'avant pour écouter sa voix :


       - Mesdames et messieurs! Bienvenue à la représentation : L'ignorance tue ! La pièce qui raconte la vie de la Caith Sidh, révélant ce que son esprit refuse de lui livrer!

Un torrent d'applaudissements retentit tout autour de moi, me faisant glapir de surprise. Cherchant de tous les côtés, je ne trouvais pas l'origine du son. Pourtant, cela me semblait si réel que j'avais réellement cru qu'il y avait des gens autour de moi.


       - Je sais, je sais..., débuta-t-elle en faisant des gestes de la main pour ramener le calme. Vous avez tous grande hâte de revoir sur scène notre grande vedette, la bien-aimée de la Dame de l'Ouest. Or, en tant qu'animatrice de cette merveilleuse soirée de divertissement, je me dois de vous rappeler certaines politesses.

Rejetant ses cheveux derrière ses épaules, elle fit apparaître une sorte de parchemin. Je poussais une exclamation de ravissement face à ce tour de magie, car ledit parchemin était énorme! Le déroulant avec emphase, Scatchy laissa son regard errer sur les gradins avant de se visser sur moi. Je sentis un frisson dévaler ma colonne vertébrale, malgré que je ne voyais pas son regard. Je ressentais jusqu'à dans mes os que toute son attention était focalisée sur ma personne.


       - Veuillez éteindre tout appareil susceptible de déranger la représentation, quoique vous en n'ayez pas, plaisantait-elle seule jusqu'à ce que des rires ricochent sur les murs.

Je serrais les dents, malgré moi perturbée sur le fait d'être seule et attendre les réactions de spectateurs fantômes. Affirmant mentalement cette vérité boueuse, je me concentrais sur les autres règles, me demandant malgré moi:


       - Jusqu'où ira le ridicule de cette scène...

       - Je vous rappelle également que c'est impoli d'interrompre votre animatrice et la pièce de théâtre! me coupa-t-elle en me lançant un avion en papier dans ma direction.


Je sursautais en écarquillant les yeux, surprise qu'elle m'aie entendu marmonner. Honte à moi, malgré que je voyais l'origami foncer sur mon front, je n'ai pas eu la présence d'esprit de me décaler. Du coup, je me trouvais fortement stupide en me massant le front douloureux, perturbée de découvrir que l'avion avait gardé le cap. Et qu'il avait été en mesure de me faire ressentir une ressentis semblable à celle d'une pichenette.

Où étais-je pour qu'un tel miracle soit possible?


        - Pour bien apprécier le spectacle, nous vous recommandons fortement de ne pas sortir de la salle en vous pinçant le bras ou d'une autre manière qui soit !

Désarçonnée par ses paroles, je cherchais à comprendre ce qu'elle voulait sous-entendre, mais rapidement sa voix retentit de nouveau:


         - L'ignorance tue, comédie satirique en cinq actes. Représenté à Rêverie, au grand théâtre du Mémorium d'Aka Chique. Bon spectacle !

La lumière s'éteignit sur ses dernières paroles, donnant apparemment le signal pour le levé de rideaux. Toujours sans voix, je vis une scène se dévoiler sous les projecteurs. Et malgré moi, malgré l'une des règles qui disaient de ne pas parler, je lâchais avec agacement:


      - Mais c'est quoi cette supercherie...

      - SILENCE !

Je serrais les dents en levant les yeux au ciel, maudissant celui qui m'avait emmené dans ce rêve de débile. Je jurais que celui ou celle qui était derrière toute cette bouffonnerie aura affaire à moi.

Quoique, vu la tournure de cette pièce de théâtre, je préférerais peut-être mourir sans jamais en parler à personne. 

Cait Sidh 1: l'ignorance tue (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant