19. 144 heures. 8 640 minutes

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Le soir que Jeb était partie, Nicolaï m'avait trouvé dans le hall. Il eut la gentillesse de ne pas me poser de question quand il me découvrit les épaules tremblantes et le visage bouffi par mes larmes. Il s'était contenté de me ramener dans le salon où un feu brûlait. Il m'avait prêté un plaid ainsi qu'une pile de livres. Il m'avait donné qu'un conseil:

- Dans ses livres, il y a des informations que tu connais déjà. Des savoirs qui ont été oubliés de l'humanité. Ton amnésie a un avantage non négligeable : celui que ton esprit est prêt à accepter plus facilement. Si tu parviens à récupérer ces savoirs, je crois que tu pourras récupérer ta mémoire sans souffrir.

Perplexe par ce message dont le contenu m'échappait en partie, je pris le premier livre qu'il me proposa. Le premier livre était... un livre sur la méditation et l'hypnose?

Nicolas m'interpella une dernière fois avant de me donner cet ultime conseil:

- Et n'oublies jamais cela: tout savoir à sa part de vérité.

Nicolas me remit en main un second livre. Ce dernier était écrit par une hypnologue qui parlait de vies antérieures. Curieuse, je fis quelques recherches sur internet pour découvrir que la méditation pouvait créer un résultat ressemblant à l'hypnose ― ce qui confirmait le premier bouquin. Je les lus jusqu'à m'endormir le nez dedans.

Au aurore du matin suivant, je sortis dehors, vêtu simplement. Les informations lues la veille m'avaient donné une idée complètement folle: créer un moment de régression de vie antérieure. Après tout, que pouvais-je faire d'autre pour ces 6 jours, ces 144 heures, ces 8 640 minutes de repos que je possédais?

Une volonté profondément enracinée en moi me poussa à m'enfoncer dans la forêt. Nicolaï dormait encore quand j'ai quitté le chalet au matin. Je n'avais même pas pris le temps de voir son aspect extérieur que mes pieds suivèrent un chemin connus que d'eux. Mon corps se glissa entre les branches, traversant une zone boisée avant de tomber sur une éclaircie. Je trouvais rapidement un petit ruisseau avec une portion d'herbe touffue. Je m'y installais en seiza, une posture assise traditionnellement japonaise que j'avais lu la veille. Je m'installais, à peine perturbé par mon aisance dans cette position, pour observer minutieusement mon environnement.

Entendre le chant des oiseaux ainsi que le ruissellement de l'eau qui rigolent contre les rochers de tailles variées. Ma respiration se fit plus profonde et calme tandis que mes yeux se fermaient doucement. Lentement, mon corps se pencha pour que mes avants-bras de pose sur le gazon. Ma tête trouva naturellement sa place sur mes mains jointes. Mon dos s'arqua légèrement jusqu'à atteindre une position confortable.

Ma respiration sembla disparaître à l'instar de ma connexion avec mon corps charnels. Mes ressentis physiques ne m'avaient jamais apparus aussi loin de moi tandis que j'en oubliais le lieu, mon identité et les bruits environnants.

Seul mon cœur était plein de désarroi, un cri dans l'âme à partager.

- Je dois savoir... Qui suis-je...? murmurai-je à moi-même, empli d'humilité et de lâcher-prise.

Portée par ce besoin si profond de vouloir cette réponse, je tombais en transe, même si la transition me laissait confuse. Je ne me souvins que du chant de multitudes d'oiseaux accompagné par celui du ruisseau. Un moment à la fois hors du temps, et parfaitement présent à l'instant. Puis on aurait dit que mon esprit se dégagea de quelque chose pour partir dans un lieu que... Je connais.

Je me sentais m'enfoncer dans mon soi tandis que des séquences traversaient mon esprit. Parfaitement détachée, je visionnais une vie dont les images s'enchaînaient si vite. Comme si mille informations me parvenaient en une seule seconde.

Je me retrouvais dans une réalité dont l'époque était lointaine, si lointaine que les connaissances actuelles ne me permettaient pas de la situer dans le temps.

FLASHBACK - 3 000 ans plus tôt

Je courais dans une forêt envahie par du lichen millénaire. Cette forêt, je la connaissais très bien et je l'aimais beaucoup. Or aujourd'hui, elle me paraissait plus comme un piège qui se refermait sur moi. Cela faisait 4 jours qu'ils ne me lâchaient pas. Quatre jours de merde où ses bawbags (nda: expression écossaise «trou de cul») ne cessaient de me poursuivre. C'est à peine si j'ai pu prendre un moment de repos et manger! Ils étaient bien organisés et très nombreux. Ils s'alternaient jour et nuit pour me traquer.

Décidée à prendre une pause, je me glissais dans une interstice assez grande pour m'y cacher. Nous étions pas loin de la rivière et la nuit commençait déjà à s'installer. L'hiver avait commencé son règne il y a de cela deux pleines lunes. Et ce soir, ce sera une nuit sans lune. Des deux côtés, nous serions désavantagés par la pénombre de sa présence.

Je me reposais, reprenant lentement mon souffle quand j'ai perçu des pas. Mon être entier se crispa violemment alors qu'une goutte de peur s'infiltrait en moi: «comment m'avait-il retrouvé aussi vite?» Je me mordis violemment la lèvre inférieure pour m'empêcher de trembler tandis que je me dégageais de ma cachette. Je grimpais discrètement pour tenter de les discerner. Je voyais facilement des braseros, mais j'étais incapable de savoir leur nombre. Mes poursuivants du jour étaient trop éloignés les un des autres pour que je puisse déterminer leur nombre. Mes dents se serraient tandis qu'un vent souffla d'un coup, me faisant frissonner.

Il fallait bouger. Maintenant.

Je me dirigeais donc vers la rivière, espérant tromper leur vigilance avec les quelques cachettes que me proposaient la zone touffue du bord de l'eau. Ils ne pourront pas me voir d'où ils sont, ni m'entendre à cause du bruit. Malchance pour moi, c'est là que les flèches fusèrent dans ma direction suivi par des jappements: des chiens!

Paniquée, je courus pour me rapprocher de la zone escarpée où l'accès était plus difficile. Mes bottes dérapaient facilement sur les roches, mais je me savais capable de me déplacer ici. J'étais ici depuis Samhain pour mon entraînement, mais je refusais de me laisser attraper. C'est avec cette idée en tête que j'atteignis une zone plus plate enneigée où je me mis à courir. Pour stopper net au bout de quelques foulées. Un autre groupe m'y attendait. Certains pointaient leur armes sur moi tandis que d'autres tenaient un immense filet. Je grognais en reculant lentement, mais les pas de mes poursuivants me parvinrent.

J'étais encerclée.

Je ne pouvais pas me protéger d'une quarantaine d'hommes avec leur cabots. Une première roche s'écrasa violemment dans mon dos, me faisant siffler de douleur. Je tournais légèrement la tête pour voir d'autres suivre. Pestant, je tentais d'en esquiver le plus possible en cherchant un échappatoire. Certains avant qu'une se cogne contre ma tempe. Pendant un instant, ma vue s'embrouilla; c'est là qu'ils lancèrent leur filet. Du moins, je le présumais, car, quand je parvins à dépasser mon malaise, j'étais aplatie au sol par le filet. Plusieurs de ses bawbags se tenaient debout sur le filet, faisant pression ensemble pour m'empêcher de soulever le filet. Je grognais en essayant de me redresser, mais un coup de bâton me cloua de nouveau au sol. Ma vue et mon ouïe déraillaient, mais je percevais qu'ils me ligotaient. Mes mains furent attachées dans le dos, et mes jambes n'y échappèrent pas. Un bout de tissus avec de la corde devint un bâillon inconfortable avant d'entendre l'un d'eux dire:

- Jetez la dans l'eau.

Cait Sidh 1: l'ignorance tue (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant