31. Si semblables... mais si différentes

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Nous allions nous répartir en deux équipes pour décoller. Nathan m'informa qu'il y avait deux véhicules au-dessus de nous : ceux qu'ils avaient ramené après m'avoir retrouvée. Au milieu de rien il semblait, mais en sortant au grand jour, je remarquais que l'entrée du bunker se trouvait dans une vieille cabane de chasseur. À l'extérieur nous attendait les deux Jeep qui devaient nous emmener à mon ancien domicile. Je devais admettre que je m'attendais pas à ce que mon ami soit aussi équipé.

La répartition avait été simple: j'embarquais avec Nico et les autres avaient décidés de rester ensemble. S'approchant des véhicules, j'entendis le trio derrière moi et le rouquin s'échanger des âneries et des rires. Étrangement, les voir aussi soudés les uns aux autres me faisait réaliser que je les enviais, dans un sens. De les voir si libre dans leurs émotions et de personnalité à l'opposé de moi, tels des mélodies dont seule la mienne avaient des faux accords. 

Et puis, le regard de Jeb croisa le mien, tel un nouvel accord qui faussa, encore. Je vis sa machoire se crisper, me rappelant notre altercation. Je ne tirais aucune fierté dans les paroles que je lui avais balancé au visage. Surtout que ce genre de comportement perfide va à l'encontre de ce que je prône : les mots ne doivent pas être utilisé aux détriments d'autrui. J'avais laissé ma rancune envers lui affecter une situation qui n'avait aucun lien avec notre désaccord. Un désaccord qu'on n'avait toujours pas eu le temps de régler.  Me léchant inconsciemment les lèvres, je voulus lui dire quelque chose, n'importe quoi. Or, en un instant, il avait embarqué à l'arrière de leur véhicule.

Cloué au sol, je demeurais là, passant sans doute pour une idiote. Ce fut Nicolaï qui me sortit de ma transe, là où je cherchais désespéremment une façon de réparer les pots cassés avec Jeb: je ne voulais pas rester en froid avec lui. Il me bouscula gentiment, m'effleurant de sa chaleur surnaturelle. Me tournant vers le dragon - quel choc ! - qui me demanda l'adresse avec espiéglerie.

       - Jeb l'a dit tantôt! râlai-je en levant les yeux au ciel. T'es sourd?
       - Non, mais j'aime t'entendre râler.

Je grognais pour la forme en rejetant les tresses sur lui, tel un chat fouettant la queue de mécontentement. Il se contenta de tirer sur l'une d'elle avant de me pousser gentiment vers la porte.

Heureusement pour moi, Jeb avait déjà connaissance du lieu où nous allons, comparé à moi. Même si je me souvenais d'avoir habité ailleurs avant cet incendie, j'eus beaucoup de difficulté à me remémorer de l'adresse exacte. Le seul détail que je me souvenais était que j'avais emménagé plus loin après l'incident. Je fus surprise de savoir qu'il nous fallait deux heures de route pour atteindre ce lieu. Certes, nous étions loin et profond dans la campagne - ou du moins, dans la forêt -, mais je demeurais étonnée par la distance.

Ainsi donc, je pris place du côté passager, sans même me débattre comme le faisait Callie et Nathan un peu plus loin que nous. Bien que je commençais à comprendre que ce simulâcre de dispute était monnaie courante pour eux, je demeurais intriguée. Voir des personnes faire semblant de se chicaner était quelque chose au goût peu commun. Mais j'aimais bien ça.
Nicolaï me lança un regard appuyée, souriant de toutes ses dents en s'installer derrière le volant de sa voiture. Haussant un sourcil dans sa direction, je lui demandais muettement la raison de ce sourire.

        - Je vois que tu préfères toujours ne pas conduire, m'avoua-t-il la raison de son sourire tout en installant le GPS.
        - Cela ne te perturbe pas d'être avec moi, de voir deux personnes si semblables… mais si différentes? 

Un silence angoissant suivit ma tirade, changeant radicalement l'ambiance de l'habitacle. Je devais me réjouir de ce que me disait Nico, mais ce n'était pas le cas. Plus le temps passait, plus la pression de cette situation m'envahissait. Ils - Jeb, Nico, Nathan, Callie et encore d'autres que j'ignorais l'existence - avaient tous connu l'autre moi, celle que je ne connaissais pas.
Est-ce que je les faisais souffrir de ne pas être celle qu'ils ont connu, malgré que j'aille tant de choses en commun? Préféraient-ils la Caith Sidh, ou moi, Keyah? Ou encore, s'ils devaient choisir l'une des deux Keyah qu'ils avaient appris à connaître, laquelle choisiraient-ils?

Je coinçais douloureusement ma lèvre inférieure entre mes canines, espérant refouler l'émotion qui voulait s'épendre. Pourtant, le véhicule ne bougea pas, mais la main de mon ami vint me caresser derrière l'oreille avant de descendre sur mon cou. Je frissonnais, réalisant à quel point j'avais froid et qu'il était chaud. Et cela me réconforta à tel point que je frottais ma joue contre sa main.

       - Eh… Cesse de faire des bretzels avec ton cerveau, Keyah, me dit-il en pinçant ma joue.

Je couinais en le repoussant rapidement, momentanément distraite par son regard joueur. Ce dernier recommença en tirant de nouveau sur la même joue, parvenant à chasser mes sombres pensées. Je lui mordis la main en représaille, hilare en le voyant se plaindre. 

       - Bien fait pour toi!
       - Ça y est ! J'ai la rage! Je me sens mourir! dramatisa le dragon qui mimait la mort d'une manière très théâtrale.

Je me contentais de lui faire une grimace enfantine avant de me prendre son portable pour choisir une musique. Défilant sur les divers morceaux, je finis par trouver une chanson parfaitement adaptée pour débuter notre route.

Ce dernier ferma les yeux un instant pour profiter des premiers accords avant de démarrer. Le premier véhicule était déjà parti lorsque le nôtre s'engengea sur une route sinueuse, mais malgré tout entretenue par d'autres engins. M'installant à mon aise, j'actionnais le mécanisme pour ouvrir la fenêtre. Le vent s'engouffra dans l'habitacle, me fouettant de son air chargé d'une faible humidité mélangée à l'odeur prononcé de baume des sapins. C'est ainsi que je laissais mon regard se perdre au fil des kilomètres avalés par cette machine dont l'homme a mise en matière il y a de ça un peu mois de 150 ans. 

Cait Sidh 1: l'ignorance tue (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant