Maintenant que le rush d'adrénaline était passé, les phalanges amochées de Mei se rappelèrent à son bon souvenir. Un filet de sang s'écoulait le long de son index droit. Elle suivit sa progression jusqu'à ce que les premières gouttes teintent le blanc immaculé du lavabo. Mei ne put retenir un rictus amer en se remémorant les railleries d'un de ses "amis" lorsqu'elle lui avait annoncé son inscription au club de Krav Maga. Mais c'est violent, avait-il nargué, tu vas te faire mal. L'ironie lui soulevait le cœur encore aujourd'hui lorsqu'elle y repensait. A cette époque, elle aurait voulu - elle aurait dû - exploser. Rétorquer que les hématomes n'étaient rien - strictement rien - en comparaison des années passées à subir le joug d'un rôle social qui la reléguait au silence, à l'effacement (subtilement vantée sous le nom de discrétion), à cette douceur un peu mièvre qui n'en a que le nom, à cette passivité que l'on attend de la femme et qui doit être le soutien indéfectible de l'homme. Dans ce corset social, Mei était morte à petit feu. Une mort par étouffement. Une mort par renoncement à soi-même. Une sainte mort.
De rage, Mei serra le poing au dessus du lavabo, y précipitant un peu plus de sang.
- Putain ! , cracha-t-elle entre ses mâchoires serrées.
Non, vraiment, la douleur n'était rien à côté de cette mort là. Durant des années, on lui avait appris à aimer son prochain, à se dévouer dans le service. Mais personne ne lui avait appris à s'estimer elle-même, à s'affirmer, à prendre sa place. Personne ne lui avait appris à relever les yeux. A se tenir droite. On lui avait promis une vie pleine de sens et de profondeur jusqu'au jour où elle s'était réveillée en réalisant qu'elle avait perdu son avenir. Devant elle, il n'y avait plus rien. Plus rien à attendre. Plus rien à espérer. Plus rien à conquérir. Plus rien à construire.
- C'est bon ? , gronda une voix dans son dos. Tu t'es défoulée comme tu voulais ?
Mei fit volte face pour tomber sur la mine renfrognée de son coéquipier, encore en tenue, ses protèges tibias à la main.
- Alex ?!
- Tu m'expliques ce que c'est que ce bordel ?
Comme à son habitude, Mei garda le silence et baissa les yeux. Quand bien même elle aurait su quoi répondre à cette question, le nœud au fond de sa gorge l'en empêchait. Depuis plus de trente ans.
- Au cas où tu l'aurais pas remarqué, t'es dans le vestiaire des femmes, Alex, ironisa-t-elle.
- Qu'est-ce qu'il t'a fait ce pauvre miroir ? , demanda-t-il, imperturbable, en pointant les débris de verre répandus au sol.
- Sa tête me revenait pas, rétorqua la jeune femme du tac-au-tac.
Un sourire narquois releva les lèvres d'Alex.
- C'est plutôt marrant que tu dises ça quand on sait qu'il avait sûrement ta tête au moment où ton poing l'a percuté.
- Ferme la, bougonna Mei en se détournant vers le miroir éventré qui ne lui renvoyait plus qu'une image disloquée d'elle-même.
Elle faillit en rire mais préféra serrer les dents et tenter de retenir les premières larmes qui s'agglutinaient au bord de ses paupières. Dans son dos, son coéquipier poussa un profond soupir.
- Tu m'expliques ce qui se passe ?
"T'en as vraiment quelque chose à foutre ?", fut la première réponse qui le vient à l'esprit. Celle de sa rage, de son amertume. Mais cela aurait été parfaitement injuste. Alex ne méritait pas d'essuyer ces représailles. Il n'y était pour rien.
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// ONE SHOT //
FanfictionRecueil d'OS LivaïxOC ... courts et sans prétention. Attention, probables traces de citron 🍋