- Bird in cage (2) -

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- Il va vraiment falloir que je vous donne un cours sur le passé simple, Chef, taquina Jin en griffonnant une correction sur le rapport que lui avait remis le Caporal. 

En face d'elle, de l'autre côté du bureau, l'homme bougonna sans relever le nez de sa paperasse. 

- Boucle-la, grommela-t-il, ce qui n'eut d'autre effet que d'arracher un rire à sa subalterne amusée. 

Six mois s'étaient écoulés depuis la réception, depuis cette fameuse soirée et le comportement pour le moins inhabituel du Caporal. Levi avait longuement ruminé durant les deux jours d'absence de Jin, regrettant le geste incompréhensible qu'il avait eu pour elle. Au terme du weekend, il avait s'était résolu à ne jamais revenir sur cet événement et à laisser leur vie militaire reprendre son cours. Jusqu'au jour où Jin quitterait l'armée. Depuis six mois, à chaque fois que cette perspective lui vrillait l'estomac, Levi se raisonnait en songeant qu'il n'était pas un mal que Jin s'éloigne du front.  Elle avait un avenir devant elle. Quelqu'un l'attendait. Elle vivrait.  

- Dites, Chef, se risqua la jeune femme d'une voix mal assurée qui fit relever le nez du Caporal de son rapport. Vous viendrez, n'est-ce pas ? A mon ... 

Etrangement, le mot lui resta en travers de la gorge. "Mariage". Elle s'étonna qu'un mot si simple et d'ordinaire si doux puisse être tout à coup si difficile à prononcer. Ici, maintenant, en face de cet homme. Le cœur de Jin sembla s'arrêter, suspendu à la réponse du militaire. 

- J'essaierai, morveuse, fit-il dans un souffle. J'essaierai. 

Jin lui adressa un sourire tout à la fois tendre et railleur. Elle connaissait ses règles du jeu en matière de causerie : sobriété, franchise, efficacité. Pourquoi s'encombrer de détours et de fioritures quand on pouvait aller droit au but ? Le tact, lui, était plus ou moins dosé selon l'humeur du jour. A force de le pratiquer, elle comprenait que derrière ce "j'essaierai" il retenait une sorte de "j'en-ai-aucune-foutue-envie-et-à-vrai-dire-ça-me-fait-chier-mais-je-viendrai-parce-que-c'est-toi". 

- La femme que vous autoriserez à vos côtés aura beaucoup de chance, remarqua-t-elle soudain. 

Levi lui lança un regard interrogateur, presque médusé, par dessus la tasse de thé qu'il était en train de porter à ses lèvres. 

- Elle aura un homme qui porte ses couilles ! 

De surprise, la tasse vacilla dans les mains du Caporal qui avala de travers. Quelques gouttes du précieux liquide s'échappèrent de leur contenant pour venir s'écraser sur le rapport et former une tâche bien visible. 

- Fais chier, grommela-t-il tandis que les éclats de rire de Jin chantaient délicatement à ses tympans. 


* * *


Mathias contemplait sa fiancée, la femme qu'il aimait depuis de longues années. Il la connaissait et, pourtant, il ne la reconnaissait plus. C'est la pensée qui lui était venue un peu plus tôt dans la soirée, avec une inquiétude sourde et une boule nouée dans la gorge, tandis qu'il dînait avec Jin. Comme tous les derniers weekends de chaque mois, elle avait pris sa permission et était rentrée chez eux. 

Au cours du dîner, l'évidence lui avait sauté aux yeux. A la gorge. Jin n'était plus la même. Elle avait changé. Était-ce nouveau ou était-ce lui qui n'avait rien voulu voir jusqu'à présent ? Il y avait cette étrange distance dans son regard, dans ses caresses jusque dans leurs étreintes. Était-ce à cause de sa dernière expédition ? Jin n'avait pas réussi à lui exposer les détails, mais il en savait assez pour savoir que la femme qu'il aimait en était encore traumatisé. Elle avait assisté au massacre d'un bon nombre de soldats de son unité. Seules elle et sa cheffe d'escouade en étaient ressorties indemnes. Et cette nuit encore - Mathias le savait - Jin ferait des cauchemars. Crierait dans son sommeil. Pleurerait. Supplierait. 

// ONE SHOT // Où les histoires vivent. Découvrez maintenant