procès

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La mort est une des plus irémédiables vérités devant laquelle la vie nous plonge. Elle nous force à une énième introspection sur nous même, nous ramène à l'essentiel et nous fait prendre conscience de la valeur de la vie. Elle est omniprésente, elle peut se faire rare dès fois, du moins sur ceux qui nous entourent mais tel un filou elle s'abat d'un coup sur les vivants et laissent son lot de désolation et de tristesse. Certains désirs de changement, de transformations morales sont souvent parties de la mort d'un proche. Sur le coup les résolutions peuvent être légions mais dès fois elles ne sont que passagères. Aussi dure que soit la perte d'un être cher, Dieu insuffle dans chaque être, la capacité de surmonter la pente et de vivre,le plus difficile. Surtout dans les premiers jours, l'impression de ne plus être comme avant et de ne pouvoir se redresser sont les pires compagnons. Mais à défaut de pouvoir oublier, on peut au moins reprendre le fil de sa vie.
D'après le Coran, tant que les biens du défunt ne sont pas entièrement distribués aux ayants droits, il ne reposerait pas en paix. Et ce qui pourrait certainement faire retourner un mort dans sa tombe, c'est de voir sa famille se tirailler pour ce qu'il a laissé. Et dans la plupart du temps, il se voit être remis au goût du jour et au su de tous, ses secrets les plus enfouis.
Dans ce tribunal, un combat opposait un fils légitime et une sœur pour le gain d'une somme colossale quand même. Le matériel n'était pas le plus important pour moi et je comptais pas trop m'immiscer dans cette querelle ou ma mère m'avait entraînée.
Aussi loin que je me rappelle j'ai pas été vraiment proche avec mon père, sûrement à cause de son travail qui l'envoyait beaucoup de fois entre les avions. Cela ne m'a pas empêché de l'ériger en héros. Quand on est un jeune, on a souvent besoin de s'identifier à quelqu'un pour s'affirmer et moi je ne suis pas allé chercher loin, j'ai fait de mon père mon héros malgré qu'on ne développait pas la relation attendue. Et je me rappelle lors de mon quatorzième anniversaire d'une discussion qu'on avait eu entre homme disait-il
-Mon fils, je sais que le fossé qui s'est creusé entre nous est tellement grand qu'il ne sera peut être jamais possible pour moi de le combler. Mais saches une chose, t'es mon petit homme et un jour tout ce qui est à moi te reviendra...
La portée d'une phrase, d'une discussion, d'une dispute peut se matérialiser des années après. Parfois les puzzles d'une situation sont posés des jours voire des années plus tôt et à un moment de ta vie, ça fait tilt dans ta tête et sans même te triturer les méninges, les pièces se rejoignent sans effort.
Depuis que ma mère m'a annoncé sa découverte, je ne cesse de penser à ces paroles de mon père qui me reviennent encore et encore. J'en ai parlé à personne car je me dis que tout ceci n'est pas utile et que je suis juste là malgré moi. J'en ai souffert pourtant de cette "trahison" de mon père car même si la proximité n'était pas là je pensais que c'était le minimum syndical : me donner ce qui me revenait. Je suis une personne capable de passer outre certaines situations pour pouvoir avancer. Quand je suis parti avec ma mère, ce fut dur mais j'ai su m'en sortir sans trop de soubresauts. Je voulais fermer ce chapitre là de ma vie.
-Dans l'affaire opposant Fanta Fall à Abdallah Fall pour une question d'héritage,je déclare la séance ouverte.
C'est le juge qui venait de parler et l'avocat de ma tante se levait pour appeler à la barre son premier témoin qui n'était autre que ma tante elle même. Une fois installée, la robe noire débutait son réquisitoire :
-Alors Madame, qui êtes vous pour le défunt ?
-Je m'appelle Fanta Fall et j'étais là petite sœur de Sadibou.
-Et à part être frère et sœur qu'est ce qui vous liait d'autre ?
-J'ai été marié à mes 17 ans à un Ivoirien qui faisait la navette entre Abidjan et Dakar. Le jour où il a décidé de repartir définitivement en Côte d'ivoire, j'ai décidé de le suivre. Quand il me courtisait, il avait sorti le grand jeu me mettant dans une confiance absolue. Il ne comptait quand il s'agissait de me faire plaisir. Toute ma famille louait la bonne étoile que j'avais eue en tombant sur un homme pareil. Mais tu peux vivre avec une personne pendant des années sans la connaître surtout quand la cohabitation n'est pas permanente. Les défauts de l'un et de l'autre se cachent derrière les faux semblants, les simulacres et la tenace volonté d'être parfait aux yeux du vis à vis. Mon cauchemar a commencé quand deux années après notre arrivée en terre ivoirienne. Il s'est trouvé que j'avais épousé un soulard, doublé d'un homme violent qui me battait à chaque fois que l'occasion se présentait. J'étais là à sa merci dans un pays où je ne connaissais pas grand monde. Un jour,alors qu'il s'est vraiment retrouvé en colère, il a ramené avec lui un de ses compagnons de beuverie et ce dernier m'a violée face à ses éclats de rires. C'était un sadique dépourvu de compassion.
Mon salut vient d'une amie Ivoirienne que je voyais quand mon mari me laissait en paix. Elle avait décidé de voyager vers Bouaké, elle m'a proposé de m'amener avec elle pour fuir ce supplice et j'ai accepté sans hésitation aucune. Ainsi j'ai recommencé une nouvelle vie. Codou avait un restaurant très prisé à Bouaké où elle vendait de l'attiéké. Je suis venu donc ajouter mon savoir faire avec le thiebou djeun. Nous étions très vite devenues l'un des lieux les plus fréquentés de la ville. J'en ai profité pour me payer toutes les pièces d'or qui me passaient sous les yeux. En ces temps-là l'or n'était pas très chère et durant 10 ans j'en ai amassé beaucoup et au même moment sa valeur ne cessait d'augmenter. C'est pourquoi quand je revenais au Sénégal, la valise qui contenait mon stock d'or pesait plus lourd que celle de mes habits. Après mon retour à Dakar j'ai reçu la visite de Sadibou qui m'a présenté un projet dans lequel il voulait se lancer mais faute de liquidités, il risquait de lui filer sous les doigts. C'est comme si c'était un envoyé de dieu pour moi. Je ne savais pas exactement quoi faire de mon or et là c'était pour moi une aubaine en vue de bien le placer. Et je lui ai restitué toute ma richesse. Il me promit de le faire fructifier. Par conséquent j'ai pas du tout été surprise de voir qu'il m'avait laissé toute ses richesses puisque cela me revenait de droit en quelque sorte.
Tout au long de son discours elle sortait de temps en temps un mouchoir pour effacer les larmes qui perlaient sur ses joues. Et les personnes qui étaient dans la salle semblaient compatir à sa douleur. Même le juge paraissait touché. Si je la connaissais pas bien je serais peut être attristé aussi par son histoire. J'ai juste conclu qu'en Côte d'ivoire il avait le mérite de régler le problème alimentaire à partir de leurs ressources locales. Avec l'igname et l'aloco, ils se sont offert un large panier divers et varié pour leur consommation. C'est pas pour rien que "l'attiéké" est très à la mode dans la sous région.
-j'en ai fini avec le témoin monsieur le juge déclarait son avocat.
La robe noire que ma mère avait engagé se dirigea prestement vers elle pour commencer à l'interroger.
-Etes-vous musulmane Madame
-objection monsieur le juge, c'est quoi le rapport?
-Juste pour savoir monsieur car la dame a l'air de ne pas maîtriser que cette religion stipule qu'un enfant légitime est normalement le bénéficiaire de tous les biens de son paternel décédé.
-Objection rejetée poursuivez madame.
-Alors vous êtes musulmane Madame?
-Oui bien sûr dit-elle avec une certaine agressivité, titillée dans sa morale par la question.
- Alors selon vous pour quelle raison, cet héritage ne devrait-il pas revenir à mon client ?
-Je vais vous dire quelque chose que vous ne connaissez sûrement pas. Sadibou m'a révélé qu'il avait des doutes sur la paternité de son supposé fils. Il n'en avait eu aucune preuve mais il se doutait que cette femme l'ait déjà trompé.
J'avais des envies de meurtre en ce moment et je me serai peut être rué sur elle pour l'achever une bonne fois pour toute si le cri de détresse de ma mère qui se retrouvait au sol évanoui ne m'avait pas alerté. Aidé par el hadji on la souleva et nous dirigeâmes vers l'hôpital le plus proche. Elle fut admise au urgence et l'avocate nous informa que l'audience était suspendue. C'était le cadet de mes soucis en ce moment là et je craignais vraiment le pire. Le médecin nous apprit plus tard après une interminable attente que ma mère était plongée dans le coma mais qu'elle était hors de danger. Je fus soulagé. Mes suppliques interminables envers Dieu n'étaient pas vaines. L'avocate qui était restée avec nous durant tout ce moment nous apprit que l'audience devait se poursuivre le surlendemain.
La nuit te met face de tes réalités, tes peurs, tes appréhensions, et te force le plus souvent à prendre une décision. Nos plus grandes couardises peuvent se noyer dans la nuit. On est revigoré, bien en point et dans notre esprit, il y a cette impression de pouvoir soulever des montagnes. Certaines nuits sont peut-être porteuses de nos plus abominables cauchemars mais celle que je viens de passer avait fait de moi un énorme technicien pour mettre à mal les plans diaboliques d'une personne sans scrupules et une grande scélérate.
Ma tante venait inconsciemment de me faire entrer dans cette petite guérilla qu'elle avait crée. Ce n'était plus pour moi une question d'argent. Mon honneur était en jeu et surtout celui de ma mère.
Il y a des pages du livre de notre vie qu'on peut décider de ne plus feuilleter. On les considère comme marginales et sans valeurs. Ce matin-là j'avais à cœur de sortir la boîte qui contenait les photos de mon enfance et celle de mon père. Puis je me suis dirigé tranquillement vers le tribunal et après un petit topo à mon avocate et je suis parti m'installer.
L'audience démarrait et mon avocate désormais avait décidé de ne pas interroger Fanta. Elle voulait juste montrer une pièce à convictions. Nous allions finalement sortir notre ultime carte pour terminer ce combat. Mais j'avais d'autres idées en tête également. Maître sow s'était entretenue avec le juge pour avoir à notre disposition un expert judiciaire en écritures et documents. Devant ce dernier, On avait sorti le testament que ma mère avait trouvé et il n'avait eu aucun mal à montrer que le papier était authentique. Le juge s'en était emparé et je jetais un petit coup d'œil qui suait à grosses gouttes sur place.
Je voulais faire une dernière chose et un petit hochement de tête plus tard de mon avocate et elle m'appela à la barre. Alors là pour la deuxième fois seulement de ma vie je racontais toute l'histoire de mon enfance en précisant cette fois que c'était la femme devant moi qui en était l'auteur. Je voulais surtout la discréditer pour montrer qu'une femme capable de violer un enfant serait bien capable de mentir sous serment. Son avocat ne trouva même pas la force de venir m'interroger. Devant tous ces faits à notre faveur, le patron de la séance nous donna gain de cause et je pus recouvrer les biens que cette femme avait essayé de subtiliser.
La parole est l'un des meilleurs remèdes qui soient donnés à l'homme. Dans ses pires tourments, se confier à une personne fiable ou même à un carnet devient viatique de bien être. C'est ce que je ressentais sur le moment. Une petite autre victoire que j'avais tirée de cette affaire, même si je le souhaitais pas particulièrement fut de voir Fanta incarcérer pour faux et usage de faux. Elle avait essayé également de semer le doute dans ma tête mais il y a une chose qui ne mentait pas. C'était les clichés. Les photos de mon père gamin faisaient échos avec les miennes au même. La ressemblance était même troublante. Je pensais en ce moment à l'importance de prendre des clichés à chaque moment de notre vie. Plus que pour marquer des événements importants, elles représentent un moment de s'identifier. Mon père avait fait preuve d'une grandeur qui l'éleva à mes yeux. Il avait au moins eu la largesse de restituer à ma tante qui avait voulu en abuser.
Un problème de moins dans ma tête. Il me fallait maintenant encore et toujours trouver une femme...

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AbdallahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant