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— C'est à cette heure-ci que tu rentres espèce de gros malade ?

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— C'est à cette heure-ci que tu rentres espèce de gros malade ?

Megumi plisse les yeux lorsque son parrain rentre dans sa chambre. Il vient de finir de se changer, ses affaires gorgées d'eau ont directement fini dans la machine à laver.

Satoru Gojô l'observe avec ce petit sourire en coin qui a le don d'énerver ses collègues de travail, appuyé contre l'encadrement de la porte. Megumi ne sait pas s'il doit lui rappeler qu'il est mal placé pour lui faire la morale. Il a l'air de vouloir être crédible, mais ses vêtements suintent sur le parquet et ses cheveux sont aplatis sur son visage comme s'il venait de sortir de la douche.

— Me fixe pas comme ça, j'ai l'impression que tu me juges.

Megumi faillit rétorqué que c'est le cas, mais il s'abstient au dernier moment. Il respecte trop cet homme pour oser se moquer de lui.

À la mort de ses parents, Satoru Gojô l'a pris sous son aile sans rien demander en retour. C'est son rôle de parrain, se justifie-t-il souvent. Bien qu'il occupe un poste très haut placé dans l'entreprise où il travaille, il a toujours fait en sorte de trouver du temps pour s'occuper de lui et pour lui apporter une présence paternelle.

Même si bien souvent, c'est Megumi qui joue le rôle du parent responsable.

Il sait que Satoru fait de son mieux pour l'élever, mais il se demande parfois comment il se serait débrouillé si Megumi n'avait pas été un enfant aussi sage et autonome. Parce que Satoru est comme un môme en bas âge, prêt à tester la moindre activité qui attise sa curiosité, qu'elle s'avère dangereuse ou non.

Combien de fois l'a-t-il empêché de bricoler leur évier parce qu'il n'avait pas envie d'appeler un plombier sournois alors qu'il pouvait très bien le faire lui-même. Au final, il a aggravé la fuite qui a inondé la cuisine pendant la nuit. Ils ont eu une belle surprise au réveil, et au vu du regard noir que lui a jeté Megumi, Satoru a enfin consenti à faire appel à — un escroc — un plombier.

Combien de fois l'a-t-il surpris à essayer d'enfoncer ses doigts dans la prise électrique pour voir ce que ça fait, à enfermer des petites cuillères au micro-onde pour voir si ça explose vraiment, à enfiler des galettes de riz dans leur grille-pain pour voir si ça leur donne meilleur goût. Et ce n'est qu'un petit aperçu de la collection cyclopéenne des bêtises de son parrain.

— Je vais faire le dîner, finit par soupirer Megumi en sortant de la chambre.

— Ah, super, j'avais la flemme ! Je vais juste prendre une douche avant, se jeter dans l'océan en pleine tempête n'était pas une si bonne idée.

Megumi ne relève pas — plus rien ne l'étonne venant de son parrain — et se rend dans la cuisine. Pendant que Satoru est dans la salle de bain, il fait cuire le riz, met à chauffer la soupe miso et place le reste de curry d'hier soir au micro-onde. Quand son parrain sort de la douche, il peut déjà se mettre à table.

Et il ne se fait pas prier pour s'asseoir et attraper ses baguettes, prenant à peine le temps de souhaiter un bon appétit à son filleul. Megumi ne s'en offusque pas, habitué à ses manières insouciantes et désinvoltes. Il se contente de manger en silence, savourant le mélange de riz chaud et de curry épicé qui le réchauffe de l'intérieur.

— J'ai vu une fille, sur le pont.

— Par ce temps-là ? Elle doit être aussi folle que toi.

Encore une fois, il est très mal placé pour dire ça, mais passons. Si Megumi devait le reprendre chaque fois qu'il lui fait la morale alors que lui-même n'est pas irréprochable, il y passerait la journée.

— C'était très étrange, j'avais comme l'impression qu'elle n'était pas humaine. Elle était debout sur le rebord, et elle n'arrêtait pas de crier. Le vent aurait fait s'envoler n'importe qui, mais il semblait lui passer au travers. Si j'avais pu tendre la main, je ne suis pas sûr que j'aurais pu la toucher.

Satoru a arrêté de manger. Il pose ses baguettes sur la table et regarde très attentivement Megumi. Ça n'arrive pas souvent que son parrain n'ait pas l'air de plaisanter, alors quand il fait cette tête-là, Megumi ne peut que le prendre au sérieux.

— Tu crois que c'était un esprit ?

Satoru Gojô est convaincu de la véracité des événements surnaturelles, qu'il existe des choses que la science ne peut justifier et qui ne sont pas faites pour être expliquées. Il croit aux maisons hantées, aux âmes errantes à la recherche de ce qui les retient dans le monde terrestre, aux esprits protecteurs qu'il ne faut pas offenser.

Megumi ne partage pas cette croyance, sans doute est-il trop rationnel pour admettre l'existence de ces êtres de légendes. Mais tandis qu'il finit de boire le reste de sa soupe miso, il est bien incapable de détromper son parrain. Cette apparition à l'allure de lycéenne, à la peau diaphane et aux cris cristallins, appartient aux mondes des songes et non à la réalité.

Tous les frissons que leur rencontre lui a procurés semblaient être venu d'ailleurs, d'une endroit froid et lointain, comme s'il avait été traversé par un fantôme. La chair de poule qui hérisse encore ses poils témoigne de cette impression d'irréalité, de surnaturel, comme s'il avait vu quelque chose qu'il n'était pas censé percevoir.

— Qui qu'elle soit, elle n'était pas humaine. Ou alors, elle l'a été pendant un temps, mais celle que j'ai vu sur le pont avait tout d'une déesse. J'aurais juré que les cris qu'elle poussait incitait le typhon à prendre de l'ampleur, comme si elle était le chef d'orchestre de toute cette cacophonie de la nature.

Satoru le regarde droit dans les yeux et Megumi se sent mal à l'aise. Il ignore combien de temps passe avant que son parrain ne finisse par le libérer de l'emprise de son regard envoûtant. Ses cils blancs comme un nuage et ses orbes azur comme le ciel ont toujours eu le don de le déstabiliser.

— Ou alors, la pluie t'a donné de la fièvre et tu as complètement halluciné ! s'exclame-t-il en lui donnant une pichenette sur le front.

Megumi râle et le repousse, sous le rire tonitruant de Satoru.

Son hypothèse est plausible et sans doute plus réaliste que son explication mystique. Mais au fond de son cœur, il est persuadé qu'il a raison. Cette fille était le typhon, l'incarnation sous forme humaine de la fureur du cyclone.

Les cris du typhonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant