Megumi savait qu'il n'aurait jamais dû s'attarder dehors aussi longtemps avec la tempête qui se préparait. Le vent souffle si fort qu'il a l'impression qu'il pourrait s'envoler à tout instant. Son parapluie ne lui est d'aucune utilité sous cette plu...
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— Je veux bien t'aider, mais tu as une idée par où tu veux commencer ?
Kishi fait une pirouette en arrière. Megumi se demande pourquoi elle a autant besoin de bouger. Ils ne peuvent pas échanger deux mots sans qu'elle ne soit en train de tourner sur elle-même ou de sautiller dans tous les sens.
— Mon uniforme.
Megumi fronce les sourcils.
— Ton uniforme ? répéte-t-il.
— C'est le même que le tien. Il est évident que j'ai été élève dans ton lycée, même si c'était il y a longtemps. J'ai eu beau fouiller dans les moindres recoins, passer au travers de tous les murs et même celui de la salle des profs, je n'ai pas réussi à mettre la main sur le moindre indice concernant mon identité.
Nouvelle pirouette. Elle fait quelques pas sur la pointe des pieds, tourbillonne sur une jambe les mains posées sur ses hanches.
— Je suis incapable de toucher le moindre objet matériel. Alors il m'est impossible de me servir d'un ordinateur ou de fouiller dans les dossiers scolaires des étudiants, poursuit-elle.
Megumi ne sait pas s'il aime ou non cet éclat de malice qui vient d'apparaître dans les pupilles de Kishi. Elle fait un bond en avant, les jambes écartées, atterie sur la pointe des pieds et oriente son index dans la direction de Megumi.
— Mais toi, tu le peux. C'est par là qu'il faudra commencer les recherches.
Megumi hoche la tête. Ça, c'est à sa portée, et si ça peut aider Kishi, alors il le fera. Il planifie de rester à la bibliothèque après les cours pour faire un tour sur les ordinateurs et parler avec la vieille documentaliste qui occupe son poste depuis plus de trente ans. Si Kishi a effectivement été une élève, elle le lui dira.
— Je pense que je ne vais pas tarder à rentrer chez moi, déclare-t-il.
Le ciel s'est couvert, il n'a pas envie de finir comme la dernière fois lorsqu'il s'est fait surprendre par le typhon. Kishi hoche la tête, fait un tour sur elle-même, se pince les lèvres, regarde ailleurs, Megumi est persuadé qu'elle a quelque chose à lui demander qu'elle n'ose pas prononcer.
Elle finit par ouvrir la bouche. Vu comment elle hésitait, Megumi ne pensait pas qu'elle finirait par cracher le morceau.
— Je peux t'accompagner ?
Megumi hausse les sourcils. Il n'y voit pas d'inconvénient et elle a l'air d'y tenir, alors il hoche simplement la tête. Son regard s'illumine, il fait instinctivement un pas en arrière. Elle a la même expression que lorsqu'il a accepté de l'aider et qu'elle s'est jetée dans ses bras sans prévenir.
C'était loin d'être désagréable, Megumi aurait menti en affirmant le contraire. Mais son cœur ne tiendrait pas si un nouveau rapprochement physique se produisait. Il n'a pas envie que Kishi s'aperçoive des drôles de sensations qu'elle lui procure par sa simple présence.
En le voyant sur ses gardes, Kishi laisse échapper un rire cristallin qui donne envie de sourire à Megumi.
— Merci ! Ça fait longtemps que je n'ai pas parlé à quelqu'un de normal, et tu es très amusant !
Megumi ne sait pas trop comment il doit le prendre, alors il se contente d'un sourire avant de reprendre sa marche. Satoru rentre tôt aujourd'hui. Il espère que quand il va retrouver leur pavillon, il ne sera pas en train de brûler. On pourrait croire que c'est de l'exagération, mais concernant son parrain, l'excès est un quotidien.
Kishi le suit en sautillant. Elle chantonne de temps à autre, Megumi songe qu'elle est comme un livre ouvert. Elle est plus expressive que la grande majorité des gens qu'il côtoie. Il prend toujours soin de se cacher derrière son masque impassible pour ne pas laisser les autres deviner les émotions qui le traversent. Kishi n'essaye pas de paraître neutre si elle est joyeuse ou d'avoir l'air tranquille si elle est en colère.
Elle a davantage l'air d'un vivant que lui. Kishi saute, Kishi danse, Kishi rigole la gorge déployée, Kishi n'a pas peur de faire des câlins. Kishi croque la vie à pleine dents, même si la sienne a été dévorée il y a bien longtemps. À côté, Megumi s'autorise à peine un sourire lorsqu'il entend son rire lui réchauffer le cœur.
La vie dont il profite, il ne croque pas dedans. C'est à peine s'il la goûte du bout des lèvres.
— Au fait, se rappelle soudain Megumi. Pourquoi tu criais, le jour du typhon ?
— Oh, ça...
Ils viennent d'arriver sur le pont, Megumi se rappelle de la scène. Lui, de l'autre côté du trottoir, trempé jusqu'aux os, fasciné par cette fille sans peur et sans reproche debout sur le rebord. Elle, la peau translucide, les cheveux au vent, guidant la tempête à travers ses cris désespérés.
— Je ne sais pas trop comment l'expliquer... Comment dire... C'est comme un sentiment irrémédiable auquel je ne peux me soustraire. Comme... Comme une bonne odeur de gâteau au chocolat ! Elle envahit tes narines puis ton être tout entier, et tu as beau essayer d'y résister, tu finis par en engloutir trois parts sans t'en rendre compte !
Megumi ne peut retenir un sourire en coin. La comparaison marche sûrement très bien avec Kishi, mais lui n'a aucun mal à résister à la nourriture. Néanmoins, il voit où elle veut en venir.
— C'est ainsi chaque soir de tempête, chaque fois qu'un typhon prend la ville d'assaut. Je suis attirée vers le pont, et je crie. Je ne sais pas pourquoi, mais j'en ressens tellement le besoin que je ne peux me contrôler. C'est comme si ces cris étaient venus de loin, très loin. Comme s'ils appartenaient à la Kishi que j'étais avant.
Son visage se ferme, elle regarde au loin, l'air songeur. Megumi est de plus en plus intrigué par cette fille et son passé. Alors qu'ils descendent du pont et qu'ils arrivent devant son pavillon, il fait la grimace en apercevant son parrain qui lui fait coucou avec un grand sourire idiot sur les lèvres.
— Oï, Megumi, ne m'ignore pas !
Il soupire, et lorsqu'il croise le regard interrogateur de Kishi, il secoue la tête pour lui faire comprendre que c'est un cas désespéré auquel il vaut mieux ne pas prêter attention.
— Eh mais... C'est rare que tu ramènes une fille ! Attends... Mais ça n'arrive jamais ! Mademoiselle, vous aurait-il kidnappée ? Si c'est un oui, hochez la tête et je me charge de lui.
Megumi fronce les sourcils, mais ce n'est rien comparé à l'expression de surprise qui déforme les traits de Kishi.