Lorsque Megumi passe devant le temple, il entend le bruit caractéristique de la goutte qui tombe dans l'eau. Shiro et Kuro apparaisse devant le sanctuaire, respectivement à gauche et à droite de l'entrée, assis sur leurs pattes arrières, le dos droit.
Megumi leur fait un salut de la main, il n'a pas le temps de s'arrêter pour les caresser. Il n'est pas en avance, on pourrait même dire qu'il est quasiment en retard, la moindre pause lui ferait immanquablement rater le début des cours. Les deux chiens-loups l'observent s'éloigner avant de disparaître en un nouveau bruit de goutte qui tombe dans l'eau.
Lorsqu'il arrive en classe, la majorité des élèves sont déjà en train de s'installer. Megumi ne désire pas se faire remarquer, alors il se dirige vers sa place sans un bruit. La sonnerie retentit, leur professeur prend place devant le tableau noir et le crissement de la craie contre la surface lisse signe le début du cours.
Megumi note avec minutie toutes les informations fournies par leur professeur. Tandis qu'il se concentre pour essayer de comprendre le nouveau théorème que leur enseignant vient de tracer au tableau, il entend comme un chuchotis, le souffle du vent, et il sent la présence d'un nouvel élève dans la classe. Sans doute un retardataire.
Megumi ne prend pas la peine de poser les yeux sur elle. Il sait juste qu'il s'agit d'une fille puisqu'il a aperçu un bout de jupe tandis qu'il fixait les inscriptions blanches sur le tableau noir. Il hoche la tête lorsqu'il a enfin compris le fonctionnement de cette équation, et la note dans son cahier. Il s'applique à la recopier dans son exactitude, mais les mouvements de son poignet s'arrêtent d'un coup lorsqu'il sent une présence à côté de son pupitre.
Les sourcils froncés, il détourne pour la première fois son attention de son professeur pour tomber nez à nez avec la jeune fille du pont. Il écarquille les yeux, sous le choc.
Qu'est-ce qu'elle fait là ? Comment a-t-elle pu se glisser jusqu'à lui sans se faire remarquer ? Personne n'a l'air de la voir, est-il en train d'halluciner ? Elle est pourtant debout en plein milieu de la classe et le fixe avec ses grands yeux de saphir, pourquoi leur professeur ne la réprimande-t-il pas ?
Il ouvre la bouche, et la main translucide de la fille vient immédiatement se plaquer contre ses lèvres. Elle pose son index sur ses lippes pour lui faire signe de se taire. Les doigts de Megumi se crispent contre son stylo plume, il ignore comment il doigt réagir. Sa main gelée contre sa peau lui donne les mêmes frissons qu'il a ressentis ce jour-là, tandis qu'elle hurlait sous la tempête.
— Ne bouge pas, murmure-t-elle. Les autres ne peuvent ni me voir, ni m'entendre.
Elle retire sa main, Megumi fait de son mieux pour rester imperturbable et continuer de se concentrer un minimum sur le cours. Il hoche la tête, fébrile, et fait mine de noter l'exercice au tableau.
— Mon nom est Kishi Ikari. Et je me suis dit que tu pourrais m'aider, toi qui semble si sensible à l'invisible.
Megumi ne répond rien, mais il est difficile d'écouter cette fille et de résoudre en même temps son problème de mathématique. Kishi Ikari... La traduction littérale de son prénom est bord de mer, tandis qu'Ikari signifie colère. Kishi Ikari, le bord de mer en colère.
Elle porte bien son nom. Kishi Ikari, le typhon enragé, l'océan en furie. La fille qui crie sous la pluie.
— Je ne vais pas te déranger plus longtemps. Retrouve-moi près du temple, ce soir à la sortie des cours. Je t'y attendrai avec Shiro et Kuro.
Sur ces dernières paroles, Kishi disparaît comme elle était venue. Sans un bruit, elle revient vers la porte et passe au travers. Le professeur continue sa leçon, les élèves continuent de prendre des notes ou de rêvasser le coude sur leur pupitre.
Kishi Ikari s'en est allée comme un courant d'air printanier, celui qui rafraîchit autant qu'il réchauffe, une brise légère et à peine perceptible qui se faufile sans être attrapée.
Après cet échange à sens unique, Megumi est bien en peine de se reconcentrer sur le cours. Lui qui est pourtant bon élève et qui prend toujours soin de noter les cours, son stylo ne retouche pas le papier de son cahier avant la sonnerie qui marque la fin de leur leçon de mathématique.
— Fushiguro, tu viens ? On doit changer de salle là.
C'est Yuji Itadori qui vient le sortir de la transe dans laquelle il s'est plongé depuis l'intrusion nébuleuse de Kishi Ikari. Yuji est pour lui ce qui s'apparente le plus à un ami. Megumi est plutôt réservé, et bien qu'il entretienne de bonne relation avec ses camarades, il n'est proche d'aucun d'entre eux. Il les salue, leur dit au revoir à la sortie des cours, mais ses échanges s'arrêtent là.
Il n'y a que Yuji qu'il considère comme un véritable ami. Ils n'ont pourtant pas grand chose en commun, et serait plutôt à l'opposé l'un de l'autre. Yuji et Megumi, c'est l'extraverti et l'introverti, le soleil et la lune. Leurs camarades sont d'ailleurs souvent étonnés de les voir traîner ensemble, que ce soit pendant la pause de midi ou après les cours.
Contrairement à lui, Yuji sait y faire avec les gens. Il est gentil et sociable, son sourire chaleureux incite naturellement les autres à aller vers lui. Megumi est blasé et renfermé, alors lui-même a été surpris lorsque Yuji lui a adressé la parole en début d'année. Il n'est pas très bavard, il n'aime pas beaucoup parler de lui, mais Yuji n'a jamais eu l'air de lui en vouloir et se contente de combler les trous lorsque Megumi n'a plus rien à dire.
Avant, c'était Yuji qui faisait le premier pas pour venir bavarder ou pour l'inviter à déjeuner avec lui. Aujourd'hui, Megumi a appris à le considérer comme un ami, et leur relation ne comporte plus autant de malaise qu'au début. Ils discutent de tout et de rien, Yuji sait qu'il ne faut pas lui poser de questions trop personnelles au risque qu'il ne se renferme dans sa coquille.
— J'arrive.
Megumi se lève et finit par rejoindre Yuji. Il frissonne, et bien que Kishi ne soit plus là, il peut encore sentir l'emprise de sa main glaciale contre sa bouche.
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Les cris du typhon
FanfictionMegumi savait qu'il n'aurait jamais dû s'attarder dehors aussi longtemps avec la tempête qui se préparait. Le vent souffle si fort qu'il a l'impression qu'il pourrait s'envoler à tout instant. Son parapluie ne lui est d'aucune utilité sous cette plu...