Quand la dernière sonnerie de la journée retentit, Megumi est soulagé. Sa deuxième rencontre avec Kishi Ikari l'a complètement chamboulée, il n'a pas arrêté d'y penser. Il s'est repassé en boucle les paroles sibyllines de Kishi, tant et si bien qu'il en a oublié d'écouter en cours.
Il range ses affaires et dit au revoir aux autres élèves qui lui répondent d'une manière tout aussi cordiale. Il n'y a que Yuji qui lui montre un signe amical, agitant sa main avec énergie, un grand sourire aux lèvres. Megumi lui lance un petit sourire de remerciement, puis tourne les talons, direction les réponses à ses questions.
Tandis qu'il sort du lycée, il se demande comment Kishi est au courant de l'existence de Shiro et Kuro, et surtout, pourquoi elle connaît leurs noms. La brise marine s'infiltre dans ses narines et pendant un court instant, il en oublie Kishi et ses mystères, Kishi et sa colère.
Mais soudain, il perçoit le bruit de la goutte qui tombe dans l'eau, Shiro et Kuro apparaissent. Megumi fronce les sourcils en les voyant immobiles, droits comme des piquets devant le temple. D'habitude, les chiens ne tiennent pas longtemps dans cette position et se précipitent vers lui pour réclamer des caresses.
Il en comprend la raison lorsqu'il aperçoit cette fille à leurs côtés, ses mains de porcelaine dans la fourrure nébuleuse des loups. Elle tourne la tête vers lui, et l'incite à s'approcher d'un mouvement de tête.
Plus il se rapproche d'elle, et plus il ressent cette sensation contradictoire lorsqu'il aperçoit la mer, qu'elle soit calme ou déchaînée. Il est attiré par elle comme une sirène vers un navire, il a envie de ne faire qu'un avec sa peau diaphane et son regard de glace. Mais d'un autre côté, il est effrayé par sa transparence qui reflète aussi son inhumanité.
— Je pense qu'il fallait qu'on discute, toi et moi, déclare-t-elle une fois Megumi arrivé à sa hauteur.
— J'ai beaucoup de questions.
— Je me doute. Pose-moi toutes celles que tu veux. Après, ce sera mon tour. Je n'ai pas de question, seulement une requête.
Megumi hoche la tête. Il ne sait pas par où commencer, alors il s'assoit d'abord à côté de Shiro avant de prendre la parole, histoire de calmer un peu les battements affolés de son cœur en laissant ses mains se perdent dans les poils brumeux du loup blanc.
— Qui es-tu ? Tu n'es pas humaine n'est-ce pas ?
Kishi s'écarte des chiens pour lui faire face. Les mains derrière le dos et le regard espiègle, Megumi se rend compte que si elle n'avait pas la peau aussi claire, il aurait pu jurer avoir devant lui une banale lycéenne dans sa jupe flottante et son uniforme qui lui colle à la poitrine.
— En effet. Je l'ai peut-être été un jour, ce qui expliquerait pourquoi je porte cet uniforme depuis mon réveil. En tout cas, il est clair que passer au travers des choses et être invisible aux yeux de tout le monde n'est pas ce qui définit le mieux un être humain.
Elle lui fait une démonstration de ses capacités et passe son bras au travers d'un mur du temple. Ce simple geste sorti tout droit de l'imaginaire fait frissonner Megumi qui continue à caresser les loups pour ne pas s'emporter.
— Si personne ne peut te voir, pourquoi moi je le peux ?
Elle hausse les épaules avec nonchalance.
— Certaines personnes ont un don et y sont sensibles dès la naissance. Pour d'autres, il s'agit d'une explication plus sombre.
— Plus sombre ?
— Ceux qui ont côtoyé la mort sont plus réceptifs aux esprits et autres créatures mystiques qui peuplent le monde. N'as-tu jamais frôlé la mort, risqué de mourir ? Ou alors, n'as-tu jamais vu l'un de tes proches, une personne qui t'étais chère mourir sous tes yeux ?
Megumi baisse la tête, son air devient plus sombre, Kishi comprend qu'il ne faut pas insister. De toute façon, c'est la seule explication plausible. Elle ne perçoit pas la moindre énergie mystique chez Megumi. Seulement des remords et quelques regrets qui l'enchaînent au passé comme les boulets en métal des prisonniers.
— Shiro et Kuro ne sont pas plus vivant que moi, lui dit Kishi pour changer de sujet.
Mais elle aurait peut-être dû garder cette information pour elle au vu du regard scandalisé qu'il lui lance. Elle pensait qu'il était au courant, mais visiblement, c'est loin d'être le cas.
— Tu devais t'en douter, non ?
Megumi ouvre la bouche, la referme. Démentir serait se voiler la face. Il se doutait bien qu'il y avait quelque chose qui n'était pas normal avec Shiro et Kuro, que leur disparition soudaine lorsqu'il tourne le dos est étrange, que le bruit de goutte d'eau qui tombe est trop singulier pour être naturel. Mais il a toujours refoulé l'idée qu'ils soient des esprits ou autre spéculations fantasmatiques.
Pour lui, ces chiens sont Shiro et Kuro, point. Recevoir en pleine figure l'annonce de leur appartenance au monde de l'au-delà est difficile à avaler. Surtout en ayant pris soin de repousser cette idée le plus loin possible de lui parce qu'il souhaitait se fier à la science et au rationnel. Les esprits n'existent pas, n'est-ce pas ? Ça n'a pas été prouvé scientifiquement, donc ils n'ont pas lieu d'être.
Mais les pirouettes de Kishi devant lui et les poils vaporeux de Shiro et Kuro qui filent entre ses doigts montre qu'il avait tort. Et à moins qu'il ne nage en plein délire et que ça ne soit que le produit de son imagination — ce dont il doute fort, parce que Megumi n'est pas un grand créatif — il n'y a aucune explication rationnelle au bras de Kishi qui passe au travers d'un mur comme si tout le monde en était capable, comme si ça n'avait rien d'extraordinaire.
— J'ai une dernière question avant d'écouter ta requête.
Kishi fait un tour sur elle-même avant d'encrer son regard chimérique dans le sien.
— Je t'écoute.
— Qui es-tu, toi ?
Kishi sourit en coin d'une manière énigmatique.
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Les cris du typhon
FanfictionMegumi savait qu'il n'aurait jamais dû s'attarder dehors aussi longtemps avec la tempête qui se préparait. Le vent souffle si fort qu'il a l'impression qu'il pourrait s'envoler à tout instant. Son parapluie ne lui est d'aucune utilité sous cette plu...