Kishi prend de l'élan, fait quelques pas sur la pointe des pieds et saute en faisant une espèce de grand écart, Megumi s'y connaît trop peu en danse pour réussir à qualifier ce mouvement. Il détourne les yeux parce qu'il a failli apercevoir ce qu'il y a sous sa jupe.
— Tu viendras toujours me voir ?
Megumi a posé la question l'air de rien, mais la réponse qu'il attend est cruciale. Les deux mains perdues dans les poils des chiens-loups, il fait semblant de ne pas trop s'y intéresser. Pourtant, il regarde Kishi droit dans les yeux et même s'il ne laisse rien paraître, il appréhende ce qu'elle va dire.
Kishi sautille jusqu'à lui, se penche et alors que Megumi pense qu'elle va l'embrasser comme elle l'a fait en classe, elle lui envoie une pichenette sur le front qui le fait grimacer.
— Bien sûr que oui ! Ta vie serait bien terne si je n'étais pas à tes côtés.
Megumi pourrait la détromper, mais ce serait un mensonge. Parce qu'au fond, il sait que c'est la vérité. La présence de Yuji est agréable, mais celle de Kishi est passionnante. Depuis qu'elle est là, et même s'il ne le montre pas, Megumi s'amuse beaucoup. Ou en tout cas, il ne s'ennuie plus autant qu'avant.
— Dis, pendant que j'étais partie, il y a une question qui n'arrêtait pas de revenir dans ma tête...
Kishi est retournée s'asseoir à ses côtés, poussant un peu Shiro pour se faire une place contre lui. Elle pose sa tête contre son épaule et Megumi frissonne. Il sait que ce n'est ni à cause du vent qui souffle de plus en plus fort, ni à cause de la mer qu'il entend rugir au loin.
— Pourquoi tu peux me voir ?
Megumi se fige. Kishi n'a pas levé sa tête bien que son épaule se soit raidie.
— Mais si tu ne veux pas répondre, c'est ton choix.
Megumi n'aime pas parler de ça. Que ce soit aux psychologues ou aux professeurs qu'il a rencontré au fur et à mesure des années, il déteste toujours autant aborder le sujet. Pourtant, il avait trois ans lorsque ça s'est passé et n'en garde que très peu de souvenirs. Mais ces quelques réminiscences du passé suffisent à lui donner froid lorsqu'il se retrouve seul dans son lit le soir.
— J'avais trois ans.
Kishi lui jette un regard étonné que Megumi ignore. Elle ne devait pas s'attendre à ce qu'il lui réponde sérieusement. Pourtant, même si Megumi n'aime pas en parler, ça ne le dérange pas de raconter son histoire s'il s'agit de Kishi.
— C'était un accident stupide. Je rentrais de vacances avec mes parents. Le trajet était long et calme, mon père était fatigué. Il y avait un peu de vent et un peu de pluie, mais rien d'inquiétant. Et puis le temps s'est gâté et les routes sont devenues glissantes. Je te raconte ça, mais en réalité, je n'en ai aucun souvenir. Tout ce dont je me souviens, c'est la suffocation, l'eau qui se remplit dans mon corps et qui me comprime tout entier, le noir, et la douleur.
Sans un mot, Kishi glisse doucement ses bras autour de celui de Megumi. Il la laisse faire, désormais habitué.
— La voiture avait, je ne sais comment, dérapée dans la mer. Tout était flou, l'eau me piquait les yeux. J'avais mal partout et je ne souhaitais plus qu'une seule chose : que ça s'arrête. Mes parents sont morts sous mes yeux, même si c'est encore une fois très flou. J'ai fermé les yeux et quand je les ai rouverts, j'étais allongé sur la plage, complètement trempé.
Il sent Kishi se crisper contre son bras. Elle relève les yeux vers lui, des yeux grands ouverts, et Megumi hoche la tête.
— C'est mon parrain qui m'a sauvé, j'ai toujours trouvé ça étrange. Il m'a dit qu'il passait par là, qu'il avait vu la voiture plonger dans l'eau et qu'il avait fait tout son possible pour nous sauver. Il a appelé les secours et j'ai fini à l'hôpital. J'ai vraiment très peu de souvenirs, mais il y a une chose dont je me souviens clairement. C'était l'ombre d'une chouette qui planait au dessus de la voiture.
— Tu crois que ton parrain avait demandé à un esprit de vous surveiller, ce jour-là ?
— C'est plus que probable. La coïncidence est bien trop grosse pour qu'il passe par là par hasard.
Kishi acquiesce contre son épaule et se blottit un peu plus contre lui. À l'abri sous le temple, Megumi observe la pluie tomber et l'écoute raisonner contre la tuile des toits aux alentours.
— Il va falloir que tu rentres. Un typhon se prépare.
Megumi acquiesce. Le bruit des vagues qu'il entend au loin ne trompe pas : la mer est agitée. Kishi se détache avant de lui tendre sa main pour l'aider à se relever. Il entend le son cristallin d'une goutte qui tombe dans une étendue d'eau et lorsqu'il se retourne, Shiro et Kuro ne sont plus là.
Arrivés sur le pont, Megumi a une étrange impression de déjà-vu. Kishi change de trottoir pour se poster debout sur la rambarde, au même endroit que la première fois. Elle se retourne vers lui, les cheveux imperméables au vent qui lui fouette la figure et lui offre un grand sourire.
— Rentre chez toi pour te mettre à l'abri, je m'occupe du cyclone !
Megumi hoche la tête, fait quelques pas, puis change soudain de trottoir pour la rejoindre. Les oreilles monopolisées par le grondement du ciel et les rugissements de l'océan, Kishi ne l'a pas entendu se rapprocher d'elle. Il lui tapote alors le coude, elle se retourne vers lui l'air étonné. Il lui fait signe de se pencher vers lui et tandis qu'elle ouvre la bouche, sans doute dans l'optique de lui demander ce qu'il veut, il plaque ses lèvres sur sa joue, juste au commissures de ses lippes glacées.
Les pommettes de Kishi se teintent de rose. Megumi sourit en coin, satisfait de sa petite vengeance pour sa provocation de ce matin. L'embrasser au coin des lèvres, une personne aussi malicieuse que Kishi ne pouvait lui faire croire que ça avait été fait en toute innocence.
Megumi s'éloigne pour rentrer chez lui, le cœur aussi tumultueux que les flots et le ciel désormais noir. Maintenant que Kishi est de retour, il est certain que son cœur n'a pas fini de palpiter au rythme des vagues qui s'écrasent contre les rochers.
Fin.
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Les cris du typhon
FanfictionMegumi savait qu'il n'aurait jamais dû s'attarder dehors aussi longtemps avec la tempête qui se préparait. Le vent souffle si fort qu'il a l'impression qu'il pourrait s'envoler à tout instant. Son parapluie ne lui est d'aucune utilité sous cette plu...