Chapitre 1

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Les coudes sur la table, je ne prenais pas la peine de raccompagner cette femme que ma compagne avait jugé bon d'inviter ce soir ! D'ailleurs, j'en avais oublié jusqu'à son nom... Toute cette semaine, à chaque diner, une nouvelle fille prenait place autour de notre repas. Ne comprenant pas le comportement d'Oxane, j'essayais tant bien que mal de me calmer. Je supposais que tout ceci avait un rapport avec sa maladie. Mais pourquoi ? Tout devenait flou dans ma tête. Entre le travail et cette semaine agitée, moi aussi j'étais à bout de nerfs... Alors que je tentais de m'apaiser, ma compagne se posa à table comme si de rien n'était. C'en était trop pour moi, la rage prit le dessus, à l'instant où de son côté elle se comportait normalement.

Tout bouillonnait en moi, et sans me contenir je me levais brutalement, la chaise sur laquelle j'étais assise se renversa suite à mon geste. Les joues rouges, je ne contrôlais plus rien. La paume de ma main vint frapper la table avec force :

— Tu vas me dire ce qui se passe ! Tous les soirs, une nouvelle femme ? Je n'en peux plus, je ne peux pas supporter tout ça... Si tu veux me quitter, fais-le, mais ne me fais pas subir tout ça...

La fin de ma phrase n'était plus qu'un murmure, malgré toute ma bonne volonté, la colère avait pris le dessus. Les larmes avaient fait leurs retours. Je me sentais aspirée dans ce trou dans lequel nous tombons sans fin... Je savais qu'à l'annonce de sa maladie tout serait difficile, mais pas à ce point. Je ne souhaitais pas perdre la femme que j'aimais à cause de toute cette merde. Elle me quittera bien assez tôt. Toutes ces idées dans ma tête et aucune explication. Oxane ne m'avait pas répondu, elle s'était levée et elle commençait à débarrasser. Malgré mon coup de gueule, elle demeurait calme. Alors toutes ces questions qui avaient muri toute cette semaine explosées en moi... Sans détour, comme un supplice je lâchais tout :

— Regarde-moi ! Je suis à bout ! Dis-moi quelque chose... Mais, bordel, Oxane!

Puis plus rien, seul le son de mes sanglots brisait le silence. Ma compagne, placée devant l'évier, avait juste stoppé ses gestes. J'en venais à me demander si elle ne faisait pas tout pour que je la quitte. Essayait-elle de me protéger ? M'éloigner pour que je n'aie pas à vivre tout ça ? Mais aujourd'hui avec tout ce qui s'est passé j'hésitais : est-ce qu'elle m'aimait ? Ou bien l'annonce du médecin avait-elle été un déclic pour elle ? Enfermée dans son mutisme, je n'aurais aucune réponse, je le savais, mais ça me détruisait par la même occasion. Nous n'avions pas vu la tempête arrivée, et malheureusement nous n'étions pas prêtes à l'affronter. Ce soir-là, je m'étais resignée. Sans un geste pour la personne qui m'ignorait, je regagnais mon lit après une douche bien chaude.

Impossible pour moi de trouver le sommeil, quelques larmes s'échouaient sur mes joues. J'avais perdu tout contrôle. Il devait y avoir une raison à tout ça, mais pour le moment elle m'échappait. La nuit était tombée, l'obscurité avait pris toute la place dans la chambre. Oxane ne m'avait toujours pas rejoint... Je ne comprenais plus la femme avec qui je partageais ma vie depuis onze ans. Un gouffre s'était installé entre nous, ma compagne refusait toutes conversations. Quoiqu'il en soit, si elle le souhaitait ce serait à elle de me quitter. Jamais je ne l'abandonnerai même si cela devait tout me couter. D'une part par cet amour que je lui vouais sans limites et d'autre part parce que jamais je ne la laisserais seule face à cette maladie.

Vers une heure du matin, je sentis le matelas s'affaisser à mes côtés. J'entendais le léger reniflement qui me prouvait qu'Oxane avait pleuré. Même si aujourd'hui, je ne cherchais plus à dialoguer, cette image d'elle me brisait le cœur. Les entrailles nouaient par toute cette douleur qui s'insinuait au plus profond de moi. Celle dont je ne pourrais jamais me débarrasser. Pour une fois depuis de nombreux jours, ma compagne se colla à mon dos m'enlaçant de son bras, sa main vint se poser sur mon ventre. Son souffle dans mon cou réveilla d'innombrables sensations en moi. Quel bonheur de sentir enfin le corps de celle qu'on aime contre soi, pensais-je ! Par peur de la brusquer, je ne fis aucun mouvement. Depuis plus d'une semaine, je ne prenais plus aucune initiative, je lui laissais le temps ainsi que le droit de choisir ou non de s'approcher. Ma respiration se faisait de plus en plus légère, en sentant ses bras m'envelopper je me détendais enfin. La douceur de la nuit m'absorbait après tout, et mes paupières s'alourdissaient à chaque seconde qui s'écoulait. Oxane resserra son étreinte sur moi avant de murmurer :

— Je me fiche de ces femmes... ce n'est pas ce que tu crois. Je t'aime bien plus que tu ne peux l'imaginer.

Ma main rejoignit la sienne pour entremêler nos doigts. Sans pouvoir dire quoi que ce soit, je m'endormis sur cette déclaration. 

Le jour où je l'ai perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant