Chapitre 18

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Il semblait à Harry qu'ils roulaient depuis des heures.

De toute sa vie, il ne s'était senti aussi misérable. Son corps entier le faisait souffrir. Les liens autour de ses poignets et de ses chevilles lui sciaient la chair, sa tête frappait douloureusement le plancher grossier de la carriole à chaque irrégularité de la route, son bâillon blessait et asséchait sa bouche tout en l'étouffant à moitié...

Il en aurait pleuré, mais il ne voulait pas perdre la face devant les deux fermiers qui conduisaient la charrette, jetant par moments des coups d'œil en arrière sur leur butin comme pour mieux le couver du regard et en estimer la valeur.

A coup sûr, ils le voyaient déjà métamorphosé en un énorme tas d'or, et ils énuméraient fébrilement toutes les manières possibles de dépenser leurs mille guinées.

Le garçon ne souhaitait pas non plus alarmer Luna. Assise près de lui, les mains liées derrière le dos, ses longs cheveux blonds emmêlés cachant à demi son visage, la jeune fille l'observait en silence, le regard plein d'inquiétude.

Avant de quitter la ferme, Mark et son père avaient chargé leurs sacs dans la carriole. Harry était certain qu'ils ne s'étaient pas gênés pour les fouiller, à l'abri des regards. Le garçon portait son argent dans la doublure de sa veste, mais il espérait que les deux paysans n'avaient pas abîmé ses précieux manuscrits.

Pourtant, à quoi bon se tourmenter à ce propos? Il n'aurait sans doute plus jamais l'occasion de les travailler... A cette pensée, un profond désespoir lui nouait la gorge. Les manuscrits finiraient au feu, et nul ne partagerait jamais l'incroyable émotion qu'il avait ressentie en composant son quatuor...

A moins d'un miracle, plus jamais non plus il ne jouerait du violon... Le souvenir lui vint de cette soirée récente où il avait interprété du Bach pour le Lord, dans son réduit, et de l'étrange exaltation qui avait été la sienne à cette occasion...

Pourquoi avait-il voulu fuir cet état de grâce, qui s'apparentait pourtant au bonheur? Était-ce parce qu'il ne supportait plus la force avide du regard que l'homme posait sur lui, et qui le troublait plus qu'il n'aurait dû ?

Oui, il avait craint de devenir trop dépendant de son protecteur, comme l'était le malheureux Neville ...

Il fut soudain arraché à ses réflexions. Les paysans venaient d'arrêter la carriole. Mark quitta la banquette avant, et ordonna durement à Luna de s'allonger à côté de Harry. Quand elle se fut exécutée, il les couvrit tous deux d'une lourde couverture à l'odeur de moisi. Sans doute voulait-il dissimuler le tas d'or aux yeux des curieux...

Les deux adolescents se trouvèrent ainsi abrités sous une espèce de tente, et ils en ressentirent un certain réconfort. Il faisait moins froid sous la couverture, toute puante qu'elle fût, et ils avaient l'impression d'avoir retrouvé comme un semblant d'intimité.

Harry devinait à peine les traits de la jeune fille dans l'ombre, mais il cherchait ses yeux.

-Ça va... ? dit-elle doucement.

Avec son bâillon, il ne pouvait lui répondre, aussi secoua-t-il la tête en signe d'assentiment. Ce mouvement lui arracha une grimace de douleur.

-Je suis désolée, Harry... , souffla-t-elle d'une voix brisée par la tristesse. Je t'ai entraîné dans un piège...

Il ferma un instant les yeux, et tenta de soulever les épaules. Il ne voulait pas qu'elle se sentît responsable de la situation. C'était lui, le coupable. Il était bien conscient de s'être conduit comme un imbécile, et il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

-J'ai été imprudente, continua-t-elle. On n'aurait jamais dû s'arrêter dans cette grange...

A nouveau, il ferma brièvement les yeux en bougeant la tête, comme pour lui faire comprendre qu'il ne lui en voulait pas.

Passion coupable (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant